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Infographie : grève nationale et interprofessionnelle

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RGPD : les représentants du personnel concernés

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 181 de décembre 2019.
Disponible en téléchargement PDF à la fin de l’article et consultable sur le site internet de Direction[s].

Le règlement général sur la protection des données (RGPD) représente encore un important chantier pour le secteur qui doit se mettre en conformité. Y compris le comité social et économique (CSE). L’occasion de faire le point sur les obligations de ce dernier en la matière.

À l’instar de l’entreprise ou de l’association, le CSE collecte des données personnelles et met en œuvre certains traitements dans le cadre de ses missions, notamment pour la gestion des activités sociales et culturelles (ASC). À ce titre, il est un responsable de traitement [1] soumis à l’ensemble des obligations posées par le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Les grands principes

En premier lieu, le CSE doit être en mesure d’assurer les cinq grands principes indispensables à cette protection.

Finalité. Il n’est possible de conserver et d’utiliser les données concernant une personne physique que dans un but précis, légal et légitime. Les ASC en font partie.

Proportionnalité et pertinence. Les données collectées collectées doivent être strictement nécessaires au regard de la finalité poursuivie.

Durée de conservation. Aucune donnée ne doit être gardée indéfiniment, ce qui suppose de fixer une durée maximale à l’avance et de procéder à la suppression le moment venu. Pour les ASC, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) recommande une durée de deux ans à compter de l’exécution de la prestation pour certaines données.

Sécurité et confidentialité. L’accès aux données détenues par le CSE doit être limité à certaines personnes autorisées (secrétaire, trésorier…). Le comité est le garant des données dont il dispose et en assume la responsabilité, notamment en mettant en place les dispositifs techniques et organisationnels appropriés (accès aux serveurs, mots de passe, etc.). En cas de violation, il doit en informer la Cnil.

Respect du droit des personnes. Ce grand principe comprend le droit d’accès, de rectification, d’effacement et d’opposition.

Désigner un délégué ad hoc ?

Eu égard à sa taille, à la nature et au nombre de données personnelles traitées, le CSE est dispensé dans la plupart des cas de mettre en place un délégué à la protection des données (DPD) [2]. En effet, l’obligation vise principale-ment les traitements à grande échelle de données sensibles [3]. Néanmoins, la Cnil recommande vivement à tous les responsables de traitement de le faire. A mini-ma, le CSE pourrait se doter d’un « correspondant » ou « référent » RGPD qui aura pour mission d’informer, de conseiller et de contrôler le respect du règlement pour le compte du comité. Cette fonction peut être assurée par un membre de l’instance.

Caractère facultatif du registre de traitement

De la même façon, les comités comptant moins de 250 salariés bénéficient d’une dérogation concernant l’obligation de tenir un registre de traitement, à l’exception des traitements non occasionnels, susceptibles de comporter un risque pour les droits et libertés des personnes ou portant sur des don-nées sensibles [4]. Or, celles recueil-lies, par exemple dans le cadre des ASC ou d’une procédure d’inaptitude (identité, adresse, situation familiale, santé, etc.), ne sont a priori pas touchées par cette restriction, même si nous manquons encore de recul sur la position de la Cnil en la matière.
Information et consentement des salariés

Pour être en conformité, le CSE doit s’assurer que les salariés ont eu connaissance de leurs droits en leur communiquant certaines informations [5] (identité du responsable de traitement, finalité, destinataires des données, durée de conservation, etc.), dont la liste diffère selon que les don-nées sont collectées directe-ment [6] auprès de la personne ou indirectement [7] par l’intermédiaire d’un tiers (en l’occurrence l’employeur).

Le comité est néanmoins dis-pensé d’accomplir ces formalités quand la personne dispose déjà de ces informations, ce qui sera souvent le cas lorsqu’elles sont fournies par l’employeur. Dans cette hypothèse, le CSE devra préciser au service des ressources humaines (RH) les traitements qui seront effectués.

Le moment de cette communication n’est pas non plus identique selon que la collecte est directe ou indirecte [8], étant précisé que l’instance dispose d’une grande liberté de choix concernant le support utilisé, sous réserve que l’information soit compréhensible, concise et aisé-ment accessible [9].
Pour être autorisé à mettre en œuvre un traitement, le règle-ment prévoit plusieurs bases légales dont le consentement de la personne concernée. Celui-ci n’est toutefois pas requis lorsque le traitement « est nécessaire au respect d’une obligation légale » à laquelle est soumis le responsable [10].

Par exemple, le traitement effectué dans le cadre d’information-consultation sur le licencie-ment d’un salarié protégé pourrait être justifié par les obligations issues du Code du travail. À l’inverse, pour les ASC, le CSE devra obtenir l’autorisation du personnel, en particulier lorsque la collecte de données est réalisée directement auprès de ce dernier.

Attention aux données traitées par des tiers

Dans le cadre de ses missions, le CSE est souvent amené à confier certaines données personnelles à des sous-traitants (expert-comptable, voyagiste, résidence de vacances, autre presta-taire de services). En qualité de coresponsable, il appartient au comité de s’assurer que ces tiers présentent des garanties suffisantes à propos du traitement mis en œuvre et qu’ils sont en conformité. En pratique, cette vérification s’opère lors de la conclusion du contrat ou de la lettre de mission liant le CSE au fournisseur, par l’ajout d’une clause spécifique relative à la protection des données.

Contrôle et mise en conformité

Tout comme l’employeur, le comité est susceptible de faire l’objet de contrôles. Il conviendra donc de recenser les traitements déjà mis en œuvre et de prendre les mesures nécessaires pour en garantir la conformité. Il ne peut qu’être conseillé aux membres de l’instance de se former sur ces questions, et/ou de se faire accompagner par un professionnel. À noter que la Cnil vient de mettre en ligne un Mooc [11] pour s’initier au RGPD, qui constitue un premier support d’information intéressant pour les élus du CSE, disponible jusqu’en septembre 2021.

Le CSE peut aussi être contrôleur

Au-delà de sa qualité de responsable de traitement, le comité veille également, pour le compte des salariés, à ce que l’entreprise ou l’association soit en conformité avec le RGPD (mise en place d’un registre des traitements, désignation d’un délégué, dispositif garantissant la sécurité et la confidentialité des données, information des salariés, etc.). Dans les entreprises de 50 salariés et plus soumises aux consultations récurrentes obligatoires, il est possible de se saisir de la thématique de la protection des données personnelles via l’accord aménageant notamment le contenu, et la périodicité des consultations [Code du travail, article L2312-19]. Le CSE doit aussi s’en préoccuper dans le cadre des consultations sur des sujets ponctuels relatifs à la marche générale de l’entreprise (mise en place d’un système de badgeage, de vidéosurveillance…) [Code du travail, article L2312-8].

Steven Theallier,
Avocat, Picard avocats

[1] RGPD, article 4, point 7 (à consulter sur le site de la Cnil)
[2] Lire Direction[s] n° 170, p. 37
[3] RGPD, article 37
[4] RGPD, article 30
[5] RGPD, article 48
[6] RGPD, article 13
[7] RGPD, article 14
[8] RGPD, article 13
[9] RGPD, article 12
[10] RGPD, article 6
[11] « L’atelier RGPD », à retrouver sur https://atelier-rgpd.cnil.fr

Références :
Règlement européen n° 2016/679 du 27 avril 2016 et loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles

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Contrôle Urssaf : comment le prévenir ou le guérir

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 178 de septembre 2019

L’annonce d’un contrôle Urssaf génère de l’appréhension chez les employeurs. Si ceux du secteur social et médico-social disposent d’un atout lié à leur objet social, ils ne sont pas épargnés.

La vigilance s’impose donc dans l’application de la législation en matière de Sécurité sociale.

Un contrôle de l’Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d’allocations familiale (Urssaf) peut intervenir tout moment. En pratique toutefois, pour tenir compte du délai de prescription en vigueur, il n’est pas engagé moins de trois ans après le précédent.

1. Anticiper un contrôle

En dépit de cet intervalle, il est recommandé d’entamer les mesures rectificatives dès la fin du contrôle. En effet, il est bien rare que l’inaction, qui peut être justifiée par l’erreur ou par les modifications récentes de la législation en matière de Sécurité sociale, constitue la solution à retenir tant le redressement peut s’avérer coûteux.

À noter. À titre expérimental et pour une durée de quatre ans, la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (Essoc) prévoit, dans les régions Hauts-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes, une légère augmentation du délai entre deux visites de l’administration pour les entreprises de moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros [1]. Sauf s’il existe des indices précis et concordants de manquement à une obligation légale ou réglementaire.

La mise en conformité

Mieux vaut anticiper un contrôle. La mise en conformité peut prendre différentes tournures. Lorsqu’elle résulte d’observations déjà notifiées précédemment par l’Urssaf, il suffit généralement pour l’organisation d’apporter les mesures correctives sur son logiciel de paie ou bien de prendre les actes nécessaires en vue de la sécurisation d’un dispositif. Par exemple, il est fréquent que l’union de recouvrement notifie des redressements à des associations gestionnaires du secteur qui n’ont pas remis la décision unilatérale mettant en place un régime « frais de santé » à l’ensemble des salariés contre récépissé. Si l’employeur n’a jamais subi le moindre contrôle Urssaf sur lequel s’appuyer, il est important qu’il procède à la vérification de sa pratique actuelle. Parmi les principaux motifs de redressement à examiner avec l’aide d’un expert-comptable ou d’un avocat ? Comme l’indique l’Urssaf, il s’agit du traitement des avantages en nature, de la réduction générale des cotisations sociales, des indemnités de rupture non soumises à cotisations ou encore l’irrespect du formalisme des dispositifs de prévoyance/frais de santé.

User des droits nouveaux ouverts aux cotisants ?

En cas de doute sur une pratique existante ou à venir, l’employeur pourra rechercher à valider celle-ci par le biais du rescrit social permettant d’obtenir une décision explicite de l’Urssaf qui lui sera opposable lors des prochains contrôles [2]. Nouveauté introduite par la loi Essoc ? La possibilité pour l’employeur de demander à faire l’objet d’un contrôle sur des points de la législation de Sécurité sociale qu’il aura lui-même identifiés au préalable [3]. L’utilité de ce contrôle « choisi » apparaît toutefois discutable puisqu’il conduirait, à l’instar du rescrit social, à faire valider (ou redresser) une pratique existante. En réalité, ce dispositif devrait simplement permettre à l’employeur contrôlé de faire valoir, de manière indiscutable, sa bonne foi afin qu’il puisse obtenir des remises de majorations et pénalités.

En cas de doute sur une pratique, l’employeur pourra la faire valider par le biais du rescrit social pour obtenir une décision explicite de l’Urssaf.

2. Réagir en cas de contrôle

La phase de contrôle tant redoutée débute par la réception d’un avis, que l’Urssaf doit envoyer au moins 15 jours avant sa visite [4].

L’avis de contrôle et son déroulement

Par principe, le contrôle est effectué dans les locaux de l’organisation.

Il est donc impératif de tout mettre en oeuvre pour que tout se passe dans de bonnes conditions. Ne serait-il pas utile, par exemple, de faire visiter l’association pour que le contrôleur puisse s’imprégner de son modèle social ? Il est évident que ce dernier se montrera moins sévère avec un employeur qui a su l’accueillir à bras ouverts plutôt que celui qui s’opposera à toutes ses demandes, au risque qui plus est d’être accusé de faire obstacle au contrôle [5].

À noter. Le contrôleur Urssaf est l’interlocuteur « unique » le temps du contrôle [6]. C’est donc lui qui décide de notifier un redressement ou non, de supprimer un chef de redressement après avoir pris connaissance des réponses écrites ou non.

La lettre d’observations

À la suite des opérations de contrôle (qui sont plus ou moins longues selon la taille de l’organisation), l’Urssaf doit envoyer une lettre d’observations. Elle reprend :

l’objet du contrôle ;
les documents consultés ;
la période vérifiée ;
la date de fin de contrôle ;
les observations faites au cours de celui-ci.

Les observations prennent deux formes :

le plus souvent, il s’agit du redressement ;
parfois d’une observation pour l’avenir visant à ce que l’association se mette en conformité.

Ce document marque le début de la phase de redressement. Quand bien même il ne s’agirait que d’observations pour l’avenir, il est important d’y apporter une vigilance particulière dès lors que celle-ci pourrait reposer sur une interprétation erronée de l’Urssaf qui s’imposerait lors d’une prochaine visite, voire qui pourrait conduire inutilement à une « mise en conformité ».

Lors de la réception de la lettre d’observations, l’employeur doit donc prendre attache avec son conseil habituel qui pourra l’assister dans la rédaction d’une réponse et pour identifier, le cas échéant, les motifs d’annulation possibles. L’employeur dispose d’un délai de 30 jours pour répondre aux observations.

À noter. Ce délai peut, si l’organisation le sollicite, être prolongé de 30 jours, sauf en cas d’abus de droit ou de travail dissimulé. L’Urssaf a l’obligation de répondre aux observations formulées par l’employeur, quand bien même il déciderait de maintenir en totalité les chefs de redressement contestés, faute de quoi le redressement prononcé serait nul [7].

Même si le redressement est fondé, la législation offre des solutions à l’employeur pour réduire le montant exigé.

La mise en demeure et après

La mise en demeure constitue une invitation « impérative » adressée au débiteur de cotisations pour régulariser sa situation.

Elle concerne les cotisations visées dans la lettre d’observations (en cas d’écart entre les montants, une contestation pourrait être envisagée) et les majorations et pénalités de retard afférentes [8].

En effet, la mise en demeure doit préciser :

la cause ;
la nature ;
le montant des sommes réclamées ;
les majorations et pénalités qui s’y appliquent ainsi que la période à laquelle elles se rapportent
le délai pour se libérer de la dette ;
l’identité et la qualité du signataire.

À réception de ce document, l’employeur doit vérifier que toutes les mentions obligatoires y figurent bien puisque, à défaut, l’annulation du redressement pourrait être envisagée.

Dans l’hypothèse où un recours serait nécessaire ou opportun, l’employeur doit saisir la commission de recours amiable de l’Urssaf dans un délai de deux mois. Nombreux sont ceux qui s’interrogent à ce moment-là sur la nécessité de payer le redressement. Il est généralement recommandé de payer dans un délai d’un mois, puisque le taux des majorations de retard complémentaires est, durant ce temps, abaissé [9]. Cela n’empêchera pas pour autant l’employeur de solliciter la remise gracieuse de ces majorations auprès de l’Urssaf selon un certain formalisme. Quand bien même le redressement serait fondé, la législation de la Sécurité sociale offre de multiples solutions à l’employeur pour tenter de diminuer, même un peu, le montant exigé par l’Urssaf. Certaines solutions pourront également se trouver dans le cadre d’une action contentieuse.

Échapper à une sanction grâce au droit à l’erreur

La loi pour un État au service d’une société de confiance a inséré dans le Code des relations entre le public et l’administration un article (L123-1) instaurant un « droit à l’erreur ». Ce droit nouveau devrait ouvrir des opportunités particulièrement intéressantes pour les employeurs du secteur social et médico-social de bonne foi. Ainsi, un cotisant qui méconnaîtrait pour la première fois une règle applicable à sa situation ou ayant commis une erreur matérielle, peut échapper aux sanctions pécuniaires. Les juges pourraient également avoir à se prononcer sur le périmètre exact du droit à l’erreur dans le cadre d’un redressement.

François Legras,
avocat, Picard avocats

[1] Décret n° 2018-1019 du 21 novembre 2018
[2] Code de la Sécurité sociale (CSS), article L243-6-3
[3] Code des relations entre le public et les administrations (CRPA), art. L124-1
[4] CSS, art. R243-59-1
[5] CSS, art. R243-59-4-1
[6] CSS, art. R243-59
[7] Cour de cass. 2e ch. civ., 12 juillet 2018, n° 17-18.730
[8] CSS, art. L244-2
[9] CSS, art. R243-18 et suiv.

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Infographie : l’index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

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Absence prolongée : les risques d’un licenciement

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 177 de juillet-août 2019

Pour constituer un motif valable de licenciement notifié, l’absence prolongée (ou répétée) doit répondre à de nombreuses conditions. Lesquelles sont bien souvent ignorées par les employeurs, qui se trouvent alors exposés à un risque considérable.

Un licenciement ne peut en aucun cas être fondé sur l’état de santé d’un salarié, en vertu du principe de non-discrimination consacré par le Code du travail. Néanmoins, la jurisprudence permet aux employeurs de licencier, non pas en raison de la maladie, mais de la situation objective de l’entreprise qui se trouve dans la nécessité de pourvoir au remplacement définitif d’un salarié dont l’absence prolongée, ou répétée, perturbe son activité. La Cour de cassation a rappelé ainsi que « la lettre de licenciement doit énoncer expressément la perturbation dans le fonctionnement de l’entreprise et la nécessité de pourvoir au remplacement du salarié absent, dont le caractère définitif doit être vérifié par les juges du fond » [1].

Appréciation de la perturbation de l’entreprise

La difficulté majeure de recourir à ce motif de licenciement réside sans doute dans la nécessité pour les employeurs de justifier de la réalité de la désorganisation de toute l’entreprise, et non uniquement d’un service ou d’un département. Toutefois, une décision isolée a admis que la perturbation d’un service essentiel de l’entreprise pouvait le justifier [2]. Pour apprécier la réalité de cette situation, les juges retiennent plusieurs critères, notamment.

  • le lien de causalité entre l’absence et les perturbations rencontrées (exemple : retard dans l’exécution d’une prestation) ;
  • la qualification de l’emploi du salarié absent (exemple : un professionnel ayant une qualification peu élevée peut être remplacé plus facilement par des salariés en CDD ou des intérimaires) ;
  • la taille de l’entreprise (exemple : la perturbation est d’autant plus importante lorsque l’association est petite) ;
  •  la nature de l’activité (exemple :
  • assurer la continuité des soins) ;
  • la situation géographique (exemple : bassin d’emploi).

Nécessité d’un remplacement définitif

La condition tenant à la nécessité d’un remplacement définitif n’est pas remplie si des solutions temporaires sont possibles, en interne ou en externe, et que ces dernières peuvent être pérennisées en cas de prolongation de l’absence du salarié. Par ailleurs, la personne qui remplacera définitivement le professionnel absent doit nécessairement être embauchée en contrat à durée indéterminée – CDI (nouvelle embauche) [3], la jurisprudence autorisant néanmoins le remplacement en cascade (le salarié licencié sera remplacé par un salarié de l’association, qui lui-même sera remplacé par lesalarié nouvellement recruté) [4]. En tout état de cause, la nouvelle embauche doit se faire sur une durée du travail similaire à celle du contrat rompu [5].

Enfin, l’embauche du remplaçant doit intervenir à une époque proche du licenciement du salarié absent, avant ou après, mais dans un délai raisonnable (deux mois maximums selon plusieurs jurisprudences [6]).

L’employeur doit justifier de la désorganisation de toute l’entreprise, et non uniquement d’un service ou d’un département.

En cas de contentieux

Faute de prouver que ces conditions sont réunies, l’employeur s’expose au risque que le licenciement soit jugé comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, ou qu’il soit annulé en raison de son caractère discriminatoire car fondé sur l’état de santé. Le recours à ce motif est également prohibé lorsque l’absence résulte du harcèlement moral ou sexuel subi par le salarié, la nullité de la rupture étant alors encourue [7].

D’apparence très accessible et adapté lorsqu’un employeur fait face à l’absence prolongée d’un salarié, ce motif de licenciement ne devra donc être mis en œuvre qu’après une étude approfondie sur la cause de l’absence, la perturbation occasionnée, et la nécessité du remplacement.

Gare aux clauses de garantie d’emploi !

Certaines conventions collectives nationales (CCN) comportent des clauses qui interdisent à l’employeur de licencier un salarié malade pendant une période donnée : ce sont les clauses dites de « garantie d’emploi » qui, en cas de violation, rendent le licenciement sans cause réelle et sérieuse. En l’occurrence, la CCN du 15 mars 1966 prévoit à son article 26 que l’employeur ne peut licencier le salarié pendant les six premiers mois de son absence pour raison de maladie. Il convient donc d’être particulièrement vigilant. Un accord collectif d’entreprise, en application de la nouvelle hiérarchie des normes, pourrait venir modifier ce délai, le moduler selon les caractéristiques du poste et même purement et simplement le supprimer.

Steven Theallier,
Picard avocats

1] Cass. soc., 26 juin 2018, n° 15-28.838
[2] Cass, soc., 2 déc. 2009, n° 08-43.486, Cass. soc., 23 mai 2017, n° 14-11.929
[3] Cass. soc., 26 sept. 2007, n° 06-43.029
[4] Cass. soc., 26 janv. 2011, n° 09-71.907
[5] Cass. soc., 6 fév. 2008, n° 06-44.389
[6] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 11-16.370, Cass. soc., 19 déc. 2007, n° 06-45.301
[7] Cass. soc., 30 janv. 2019, n° 17-31.473

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Dénoncer un usage ou un engagement unilatéral

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 173 de mars 2019

Avantages consentis par l’employeur aux salariés, l’usage comme l’engagement unilatéral peuvent être remis en cause. Une décision qui doit être motivée et qui répond à plusieurs conditions. Rappel.

En application de la hiérarchie des normes et du principe de faveur, un usage ou un engagement unilatéral [1] sont nécessairement plus favorables aux salariés : ils ne peuvent déroger, dans un sens moins avantageux, à un texte d’un rang supérieur (accord col-lectif, convention collective, Code du travail).

Caractéristiques

La définition de l’usage n’a pas varié depuis plusieurs décennies : cette pratique – non écrite – doit revêtir les caractéristiques suivantes : constance, généralité et fixité. Celles-ci sont cumulatives et devront être démontrées par un salarié en revendiquant l’existence à son profit. L’erreur n’étant pas créatrice de droit, elle n’est pas plus créatrice d’usage. Il peut concerner un groupe homogène de salariés objectivement identifiable, sans obligatoirement toucher l’ensemble des salariés.

L’engagement unilatéral ne répond pas à une définition aussi précise. Toutefois, il doit nécessairement être écrit et, comme l’usage, concerner une catégorie homogène de salariés identifiable. Il implique évidemment un acte « positif » de l’employeur. Et à la différence de l’usage, il peut être à durée déterminée ou indéterminée. Dans le premier cas, il ne pourra pas être dénoncé.

À noter. Pour les associations sou-mises à l’article L314-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF), l’agrément de ces pratiques est une condition de leur opposabilité à l’employeur [2]. La position de la Cour de cassation pourrait être amenée à évoluer pour les structures sous contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM), puisque depuis la loi de finance-ment de la Sécurité sociale pour 2018, l’agrément des accords collectifs n’est plus nécessaire, de sorte que celui des usages et engagements unilatéraux devrait être désormais sans objet.

Une modification possible ?

La Cour de cassation répond invariablement par la négative. Pour l’usage, le critère de constance s’oppose évidemment à toute variation ou modification de ce principe. Aussi, pour éviter la création d’un usage, mieux vaut en modifier le plus rapidement possible le contenu. La jurisprudence refuse également, en dehors de toute dénonciation régulière, la possibilité de modifier un l’engagement unilatéral, quelle que soit sa nature.

La fin de la pratique

Cette dénonciation, qui n’a pas à être motivée, répond à des prin-cipes simples :

  • Une information des instances représentatives du personnel ;
  • Une information individuelle des salariés ;
  • Le respect d’un délai de prévenance suffisant.

L’information (et non la consultation) doit concerner l’ensemble des IRP : comité d’entreprise (CE), d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), délégués du personnel (DP) et aujourd’hui le comité social et économique (CSE). Si l’usage ou l’engagement concerne l’ensemble de l’organisa-tion, une information du comité central d’entreprise (CCE) ou du CSE central sera également requise. Mais si la dénonciation a des conséquences sur la marche générale de l’association ou sur les conditions de travail des salariés, une information consultation du CE et du CHSCT (ou du CSE) devra être réalisée.

À noter. Si la jurisprudence vise les IRP, il conviendrait d’informer les éventuels délégués syndicaux, ceux-ci ayant vocation à négocier un accord de substitution.

S’agissant de l’information individuelle des salariés, elle doit s’adresser à ceux bénéficiant de l’usage, mais aussi à ceux susceptibles de pouvoir en bénéficier. L’employeur doit impérativement se ménager la preuve de cette information, qui doit être à date certaine.

Le délai de prévenance ne répond à aucune règle et dépendra de la nature de la pratique dénoncée. La dénonciation ne peut pas avoir d’effet rétroactif : elle ne peut jouer que pour l’avenir. Un délai compris entre deux et trois mois est globalement jugé suffisant.

Enfin, l’accord collectif d’entre-prise, même moins favorable, peut être une source de remise en cause de ces pratiques, dès lors qu’il porte sur le même thème. Enfin, en cas de fusion entraînant le transfert de salariés, celles-ci ne sont pas incriminées : elles sont transférées au nouvel employeur, qui ne pourra s’en délier qu’en les dénonçant.

Le cas de l’opposition

Lorsque la procédure de dénonciation a été respectée, la fin de l’usage ou de l’engagement unilatéral est opposable aux salariés. Ainsi, en cas de dénonciation régulière d’un usage qui attribuait une prime, bien que portant sur un élément de la rémunération, le professionnel ne pourra plus s’en prévaloir. Évidemment, il convient de réserver l’hypothèse d’une contractualisation de ces pratiques.

À l’heure où la négociation collective a la part belle des réformes, l’usage et l’engagement unilatéral de l’employeur ont encore de beaux jours devant eux, y compris dans l’esprit du législateur. La « prime exceptionnelle de pouvoir d’achat » pouvait ainsi être instaurée jusqu’au 31 janvier par décision unilatérale de l’employeur [3].

L’application d’une convention collective via cette pratique

Les principales conventions collectives nationales (CCN) du secteur n’étant pas étendues (hors l’aide à domicile), l’application d’une CCN résulte soit d’une adhésion à une organisation syndicale signataire, soit d’une application volontaire. Cette dernière procédure peut résulter d’un usage ou d’un engagement unilatéral de l’employeur. Ici encore, la dénonciation régulière sera pleinement opposable aux salariés, sans faculté d’opposition.

Cécile Noël
Juriste, Picard avocats

Références :
[1] Également appelé décision unilatérale
[2] Cass. soc., 28 novembre 2018, n° 17-17.968
[3] Loi n° 2018-1213 du 24 déc. 2018

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L’accord de performance collective : une opportunité ?

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 171 de janvier 2019

L’accord de performance collective (APC) doit répondre aux nécessités de fonctionnement de la structure, ou permettre de préserver, voire de développer l’emploi. Ses dispositions, qui peuvent être moins favorables que le contrat de travail, s’imposent aux salariés. Explications de ce nouveau levier de flexibilité offert aux partenaires sociaux locaux.

Créé par les ordonnances dites « Macron », l’accord de performance collective (APC) a remplacé les accords de maintien de l’emploi (AME), de préservation ou de développement de l’emploi (APDE) et de mobilité interne (AMI). Qualifié de dérogatoire, il peut prévoir des dispositions contraires au contrat de travail s’imposant au salarié, tout refus l’exposant à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Quelles modalités de négociation ?

L’APC est un accord collectif de droit commun : pour être valable, il doit recueillir la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales ayant obtenu plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles [1]. La voie de l’accord minoritaire validé par référendum est également ouverte, tout comme celle de la négociation avec des élus manda-tés ou non. Faute de dispositions contraires, l’APC peut être négocié au niveau de l’association comme de l’établissement [2], et concerner tout ou partie du personnel.

Par ailleurs, afin de ne pas brider les négociations, le législateur a souhaité faire de l’APC un accord discret en l’excluant de l’obligation de publication sur la base de données nationale [3].

Quels sujets de négociation possibles ?

Si la notion de « performance collective » n’est pas définie, l’accord doit nécessairement avoir pour finalité de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise », ou de « préserver ou développer l’emploi ». Ces objectifs peuvent donc englober de très nombreuses situations [4] : en théorie, toute décision en matière de gestion ou d’organisation est nécessaire au bon fonctionnement d’une structure. Il conviendra donc d’être attentif à l’appréhension qu’en fera la jurisprudence. En tout état de cause, la conclusion d’un tel accord n’est pas subordonnée à l’existence de difficultés économiques.

Pour répondre aux objectifs ainsi fixés, l’accord peut :

  • Aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
  • Réviser la rémunération, dans le respect des salaires minima hiérarchiques (à ce jour, seule la convention collective nationale du 15 mars 1966 – CCN 66 [5] a précisé les éléments de rémunération concernés au titre de l’article L2253-1 du Code du travail) ;
  • Déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Autant de matières qui nécessitent, en temps normal, l’accord du salarié en cas de modification de son contrat de travail, notamment pour ceux à temps partiel lors de la mise en place d’un aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines.

En pratique, la négociation d’un APC est un jeu d’équilibriste pour les partenaires sociaux : si l’accord permet de « forcer » les contrats de travail au regard des matières susvisées, il peut également contenir des dispositions plus favorables au bénéfice des salariés relevant de son champ d’application, en particulier afin de compenser leur « effort » : octroi d’une prime ou de repos supplémentaires par exemple. Rappelons que la jurisprudence considère désormais que la différence de traitement résultant d’un accord collectif est présumée justifiée, à charge pour le salarié qui s’estime lésé d’en apporter la preuve contraire [6].

Par ailleurs, rien ne semble s’opposer à ce que l’APC comprenne toute autre disposition ouverte à la négociation d’entreprise, même sans lien direct avec les efforts demandés aux salariés, comme des dispositions relatives au télé-travail ou aux congés.

Quel contenu ?

La seule obligation est que l’accord contienne un préambule définissant les objectifs poursuivis [7]. L’enjeu de sa rédaction est de taille. En effet, le Conseil constitutionnel a précisé que « la pertinence des motifs ayant justifié l’accord peut être contestée devant le juge » [8], ce qui pourrait être un levier de contestation important pour le salarié licencié après avoir refusé l’application de l’accord. Il est donc fondamental d’étayer le préambule avec les motifs et le contexte précis ayant abouti à la conclusion de l’accord, le but étant de limiter les risques de litiges liés à l’interprétation de la conformité de la volonté des partenaires sociaux au regard des dispositions légales.

Par ailleurs, dès lors que l’APC met en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine, toutes les règles afférentes à ce mode d’organisation doivent être strictement respectées. Il en va de même en cas de mise en œuvre d’un dispositif de forfait annuel en jours (lire l’encadré).

Du reste, le contenu de l’APC est laissé à la main des partenaires sociaux. L’accord peut notamment contenir « les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés », ou encore celles « d’accompagnement des salariés refusant l’application de l’accord », mais ces clauses ne sont pas obligatoires et sont sans incidence sur la validité de l’accord.

Enfin, comme tout accord collectif, l’APC doit prévoir ses modalités de suivi, de renouvellement ou de révision et de dénonciation [9].

Mise en oeuvre de l’accord

Informer les salariés. Le législateur impose à l’employeur d’informer les salariés de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’eux d’accepter ou de refuser son application à leur contrat de travail, par tous moyens conférant date certaine et précise [10]. Cette communication faisant courir le délai d’un mois imparti au salarié pour refuser l’application de l’accord, il convient de procéder par courrier recommandé avec avis de réception ou remis en main propre contre récépissé. A minima, il est essentiel que les salariés soient informés du motif du recours à l’APC, du lieu où le salarié peut consulter le texte dans son intégralité, des conséquences de l’accord sur le contrat de travail, du droit d’accepter ou de refuser l’application de l’accord, ainsi que des répercussions en cas de refus.

Salariés acceptant l’application de l’accord. Le texte prévoit que « les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise » [11]. Cette formulation soulève de nombreuses questions. Par exemple, en cas de dénonciation ou de mise en cause de l’accord, les clauses figurant au contrat de travail auront-elles vocation à reprendre leur cours antérieur ? Ou la modification du contrat résultant de l’application de l’accord est-elle devenue définitive, indépendamment de la durée d’application de l’accord ? L’analyse à venir de la jurisprudence sera donc essentielle sur ce point.

Salariés refusant l’application de l’accord. Le salarié peut notifier son refus à l’employeur dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle il a été informé de l’existence et du contenu de l’accord. Cette notification fait courir le point de départ du délai de deux mois pendant lequel l’employeur peut engager une procédure de licenciement pour un motif sui generis, qui est préqualifié par le texte de cause réelle et sérieuse.
La procédure est celle du licenciement pour motif personnel. Ainsi sont applicables les règles relatives à l’entretien préalable, à la notification du licenciement, au préavis et à l’indemnité de préavis, à celle de licenciement et aux documents de fin de contrat. Le salarié licencié peut s’inscrire à Pôle Emploi et être indemnisé dans les règles de droit commun. L’employeur est aussi tenu d’abonder son compte personnel de formation (CPF) d’un minimum de 100 heures financées à hauteur de 30 euros par heure.

Le texte n’apporte aucune précision lorsque l’application de l’accord est refusée par un salarié protégé. Néanmoins, la protection exceptionnelle s’applique à tous les cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur [12]. Or, même pour un motif sui generis lié au refus du salarié de se voir appliquer l’accord, la rupture, qualifiée de licenciement, demeure à l’initiative de l’employeur. Ce dernier devrait donc nécessairement recueillir l’autorisation administrative avant de licencier le salarié.

Combiné à la nouvelle hiérarchie des normes laissant une large primauté à la négociation locale, l’APC pourrait être, dans un contexte de tension budgétaire et d’interrogation à l’égard du contenu des conventions collectives, un nouvel outil au service de la pérennité des structures et du développement de leurs activités.

L’APC peut-il imposer un forfait annuel ?

L’accord, qui peut « aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition », peut prévoir la mise en place d’un dispositif de forfait annuel en jours. Néanmoins, la loi de ratification des ordonnances dites « Macron » a précisé que si l’APC met en place un tel dispositif, l’ensemble des dispositions consacrées à ce mode d’organisation du travail s’appliquent. En pratique, l’accord du salarié est donc toujours requis et une convention individuelle de forfait doit être établie par écrit. En revanche, lorsque l’APC modifie un dispositif déjà existant (par exemple, le nombre de jours au forfait), le salarié ayant déjà conclu une convention individuelle se voit imposer la modification, sauf à refuser l’application de l’accord et s’exposer à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Quel impact pour les salariés en CDD ?

Le texte est entièrement muet à l’égard des salariés en contrat à durée déterminée (CDD). S’ils sont libres d’accepter l’application de l’accord, leur contrat ne devrait pas pouvoir être rompu en cas de refus. En effet, l’article L2252-4 du Code du travail qualifie la rupture de
« licenciement » et ne se réfère pas aux textes relatifs à la rupture anticipée du CDD. Or, les dispositions régissant la résiliation des CDD sont d’ordre public et les cas de rupture anticipée sont strictement limitatifs (Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-40.447 ; Circulaire DRT n° 90/18, 30 octobre 1990, § 2.4.1).

Cécile Noël,
Juriste, Picard avocats

Références :
[1] Code du travail, article L2232-12
[2] Code du travail, article L2232-11, alinea 2
[3] Code du travail, article L2231-5-1, alinea 4
[4] Code du travail, article L2254-2, I
[5] Avenant à la CCN 66 n° 346 du 20 juillet 2018, agréé par arrêté du 26 octobre 2018
[6] Cass. soc., 4 octobre 2017, n° 16-17.517
[7] Code du travail, article L2254-2, II
[8] Décision du Conseil constitu- tionnel n° 2018-761 du 21 mars 2018
[9] Code du travail, article L2222-1 et suivants
[10] Code du travail, article L2254-2, IV
[11] Code du travail, article L2254-2, III
[12] Conseil d’État, 6 juin 2018, n° 391860

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La santé et la sécurité au travail à l’aune du CSE

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 170 de décembre 2018

Alors que de nombreux employeurs préparent encore leurs élections professionnelles pour la mise en place du comité social et économique (CSE), retour sur le rôle de cette nouvelle instance représentative du personnel en matière de santé et de sécurité au travail.

La fusion des instances représentatives du personnel issue de l’ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 pose la question du sort de la santé et de la sécurité au travail, à l’heure où le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) disparaît en laissant la place au comité social et économique (CSE) doté, le cas échéant, d’une ou plusieurs commissions santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). La liberté laissée aux partenaires sociaux dans la mise en place de la nouvelle instance ne doit pas éluder l’obligation de sécurité reposant sur l’employeur, qui reste omniprésente. En effet, la suppression du CHSCT n’a pas sonné le glas des prérogatives qui lui étaient dévolues, ces dernières ayant été transférées au CSE. Le législateur a voulu que celui-ci ait une approche globale sur tous les sujets, tenant compte à la fois de l’aspect économique et de la santé au travail. Relèvent donc de sa compétence :

  • l’analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs ;
  • la consultation en cas d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
  • l’examen du rapport et du programme annuels de prévention dans le cadre de la consultation sur la politique sociale ;
  • les enquêtes en matière dents du travail ou de maladie professionnelles (AT-MP) ;
  • l’examen de toute proposition de nature à améliorer les condi-tions de travail, etc.

Par ailleurs, quatre réunions du CSE doivent obligatoirement être consacrées, en tout ou partie, aux thématiques de la santé et de la sécurité.

Mise en place des CSSCT. Les CSSCT sont obligatoires :

  • dans les entreprises et établissements qui comptent au moins 300 salariés (une CSSCT centrale est requise dans les entreprises d’au moins 300 salariés disposant d’un CSE central).
  • dans les structures de moins de 300 salariés, l’inspecteur du travail peut imposer sa création « lorsque cette mesure est nécessaire, notamment en raison de la nature des activités, de l’agence-ment ou de l’équipement des locaux ». Cette décision peut être contestée devant la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).
  • Dans les autres entreprises, ces instances ne sont pas obligatoires, mais peuvent être créées à titre facultatif.
  • La CSSCT est instituée dans le cadre de l’accord d’entreprise majoritaire déterminant le nombre et le périmètre des établissements distincts ou, en l’absence de délé-gué syndical, par un accord entre l’employeur et le CSE adopté à la majorité des membres titulaires élus. À défaut, c’est le règlement intérieur du CSE qui en définit les modalités : nombre de membres, missions déléguées, modalités de fonctionnement, de formation, moyens, etc.
  • Les partenaires sociaux dis-posent donc d’une grande marge de manœuvre concernant la mise en place de ces instances afin de prendre en compte de manière optimale les aspects santé et sécurité au regard des spécificités de l’entreprise.
  • Il serait regrettable de faire l’impasse sur la CSSCT au seul motif qu’elle n’est pas imposée, notamment au niveau de l’établissement (cas très fréquent dans le secteur social, médico-social et sanitaire dont l’effectif des établissements dépasse rarement 300 salariés). Au contraire, si le fonctionnement des anciens CHSCT de chaque établissement distinct était positif, il pourrait être opportun d’instituer une CSSCT au niveau du CSE d’établissement. Dans le cas d’une entreprise multisites, il serait également judicieux, afin d’éviter de laisser un site sans interlocuteur local en matière de santé et sécurité, de mettre en place des représentants de proximité pour relayer les informations à la CSSCT centrale ou locale.

Leur composition. La CSSCT est présidée par l’employeur ou son représentant, qui peut se faire assister par des collaborateurs de l’entreprise mais extérieurs au CSE. Ensemble, ils ne peuvent pas être en nombre supérieur à celui des représentants du personnel titulaires. L’accord (ou, à défaut, le règle-ment intérieur du CSE) fixe le nombre de membres de la commission. Celle-ci doit comprendre au minimum trois représentants du personnel, dont au moins un du 2e collège ou, le cas échéant, du 3e collège. Ils sont désignés par le CSE parmi ses titulaires ou suppléants, par une résolution prise à la majorité des présents, leur mandat prenant fin logiquement avec celui de membre élu du CSE. Des tiers (médecin du travail, agent de contrôle de l’inspection du travail, etc.) sont également invités et assistent aux réunions avec voix consultative.

Leurs missions. Il appartient au CSE de délé-guer à la CSSCT « tout ou partie de ses attributions relatives à la sécurité, la santé et aux conditions de travail », à l’exception du recours à un expert et de ses attributions consultatives (la CSSCT pourra toutefois suggérer un expert et préparer les avis du CSE). Son rôle consiste principalement à préparer les réunions du CSE sur les questions de santé et sécurité, en lui apportant l’information technique nécessaire afin d’effectuer un contrôle efficace des décisions de l’employeur et de faire des propositions pertinentes. Ce travail sera assuré pour autant que le CSE lui délègue ses prérogatives d’investigation. À savoir : le pouvoir d’enquête en cas de maladie professionnelle, d’accident du travail ou d’incident grave, et le pouvoir d’inspection permettant aux membres de la commission d’aller sur le terrain pour appréhender les problématiques liées aux conditions de travail et à la sécurité.
Au-delà, la commission a pour vocation d’intervenir en matière de prévention des risques et d’évaluation des dispositifs mis en place par l’entreprise, ce qui suppose d’avoir des membres suffisamment formés et intéressés par ces questions.

Enjeux de la négociation. Les employeurs qui néglige-raient les missions santé et sécurité du CSE ou le rôle de la CSSCT feraient une erreur stratégique. Ils seraient notamment exposés à des contentieux coûteux – le barème issu des ordonnances dites Macron étant inapplicable en cas de licenciement nul (par exemple, pour des faits de harcèlement moral ou sexuel, ou en cas de violation de la protection attachée au statut de victime d’accident du travail ou de maladie professionnelle) – qui auraient pu être évités par une évaluation et une prévention des risques à la hauteur de ces enjeux.

Un budget spécifiquement consacré à la prévention des risques

Le secteur social et médico-social étant particulièrement touché par le nombre croissant d’arrêts de travail et d’invalidité, une politique de prévention efficace apparaît aujourd’hui comme un enjeu crucial. Dans ce contexte, l’avenant 347 du 21 septembre 2018 relatif au régime de prévoyance de la convention collective nationale du 15 mars 1966 (CCN 66) instaure une obligation de consacrer un budget minimal à des actions réservées à la prévention des risques et à l’amélioration de la santé et de la qualité de vie au travail. Cette nouvelle obligation (applicable rétroactivement à compter du 1er janvier 2018) implique la mise en place d’un plan d’actions (formations, intervention d’un ergonome, etc.), qui sera défini, pour les entreprises soumises aux consultations obligatoires récurrentes, dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale. Selon l’organisation d’employeurs Nexem, le niveau de l’établissement paraît le plus adapté pour porter des actions pragmatiques sur ces sujets. Cette position irait dans le sens de la mise en place d’une CSSCT à ce niveau, y compris quand elle reste facultative.

Steven Theallier
Avocat, Picard avocats

Références :
Code du travail, articles L2312-5, L2312-8, L2312-9, L2312-12, L2312-13, L2312-27, L2314-3, L2315-38, L2315-39, L2315-41 et suiv., L2316-36, L2316-37, L4121-1 et suiv.

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De la nécessité de rédiger avec précision la délégation du pouvoir de licencier

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Contrat de travail : face à la résiliation judiciaire

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 168 d’octobre 2018

La résiliation judiciaire du contrat de travail laisse entre les mains du conseil de prud’hommes le pouvoir de rompre celui-ci. À l’heure du recul général du contentieux prud’homal dû à la rupture conventionnelle, aux formalités de saisine de la juridiction et du plafonnement des indemnités, décryptage de la procédure aux torts de l’employeur, potentielle action « refuge » pour les salariés.

La résiliation judiciaire s’analyse comme une rupture du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur prononcée par un conseil de prud’hommes. La particularité de cette action ? Elle réside dans le maintien du lien contractuel pendant tout le temps de la procédure prud’homale, laquelle peut parfois atteindre plus d’une année. Il n’y a en effet aucun « circuit court », à la différence d’une demande de prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur (audience de jugement théorique dans le délai d’un mois à compter de la saisine). De surcroît, en obtenant gain de cause, l’employeur devra conserver dans ses effectifs un salarié ayant explicitement sollicité par voie judiciaire la rupture du lien contractuel…

La tentation est grande d’écourter cette situation en prononçant, en cours de procédure, un licenciement. Elle devra être impérativement refrénée. En effet, sauf cas de faute grave postérieure à la saisine, un tel licenciement pourrait être jugé comme nul car portant atteinte à la liberté fondamentale dont dispose le salarié de saisir un conseil de prud’hommes. Il faudra donc faire preuve de patience et de stratégie.

Une stratégie globale pour le salarié

La procédure de résiliation judiciaire s’inscrira fréquemment dans la démarche globale suivante :

  1. Le salarié est placé en arrêt de travail pour maladie ;
  2. Concomitamment ou préalablement à l’arrêt : lettre de reproche sur la thématique de la dégradation des conditions de travail et de l’at-teinte à la santé du salarié, le tout en violation de l’obligation de sécurité de l’employeur ;
  3. Saisine du conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire ;
  4. Après un arrêt maladie de quelques mois : déclenchement de la visite médicale de reprise ;
  5. Constat d’inaptitude, éventuellement avec dispense de reclassement (mention expresse dans l’avis du médecin du travail que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclasse-ment dans l’emploi ») ;
  6. Licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;
  7. Poursuite du contentieux prud’homal relatif à l’action en résiliation judiciaire ;
  8. Transaction ? Condamnation de l’employeur ? Déboutement du salarié ?

Miser sur la prévention

Alors, comment se sortir d’une telle situation ? Tout d’abord, il est absolument impératif de mettre en œuvre une démarche de prévention des risques effective et efficace. La Cour de cassation a sensiblement amendé sa position, érigeant la prévention comme un potentiel rempart pour l’employeur contre une condamnation pour manque-ment à l’obligation de sécurité qui lui incombe.

À réception de la lettre du salarié faisant état d’une situation de dégradation de ses conditions de travail, il est impératif, outre l’apport d’une réponse écrite aux éventuels griefs, de fixer une visite avec la médecine du travail, peu importe la durée de l’absence, afin de s’assurer de l’aptitude du salarié. À cette occasion, il conviendra de sensibiliser le médecin du travail sur les actions mises en œuvre au sein de l’organisation au titre de la prévention des risques.

Utiliser le contenu de la requête de saisine

La saisine du conseil des prud’hommes doit dorénavant intégrer l’exposé, certes succinct, des motifs à l’origine de la demande du salarié. Il est donc normalement possible, à ce stade, d’identifier précisément ses griefs. Or, même si la Cour de cassation a connu quelques hésitations sur le sujet, il est certain qu’une « action corrective » avant l’audience de jugement, sera prise en compte par la juridiction. En effet, la Cour estime « qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier les manquements imputés à l’employeur au jour de leur décision » [1], non au jour de la saisine. Autrement dit, si la démarche de prévention n’a pas été mise en place en amont, il est encore possible, pendant le temps de la procédure judiciaire, de « vider de sa substance » l’action engagée par le salarié en régularisant les éventuels manquements.

Contester l’inaptitude ?

À l’évidence, l’inaptitude prononcée par le médecin du travail sera utilisée par le salarié dans le cadre de la procédure contentieuse. Il s’agira même d’une pièce centrale puisque faisant le lien entre la dégradation de l’état de santé jusqu’alors invoquée par le seul salarié (et, le cas échéant, son médecin traitant) et l’avis d’un acteur au fait des conditions de travail au sein de l’organisation.

Ne pas contester l’avis pourrait alors être considéré par la juridiction comme un acquiescement tacite à l’inaptitude du salarié dont les conditions de travail préalablement dénoncées en constitueraient nécessairement la cause. À l’inverse, une contestation devant le conseil de prud’hommes qui, statuant en forme des référés, aboutit à la confirmation de la position du médecin du travail, pourrait s’avérer encore plus épineuse que l’absence de contestation. Un courrier à destination du médecin du travail, reprenant la chronologie des événements et l’instrumentalisation éventuelle de son avis dans le cadre de la phase contentieuse, pourrait formaliser un compromis acceptable.

La rédaction de la lettre de licenciement, faute de reclassement possible, sera nécessaire-ment un exercice périlleux : il conviendra de rappeler que l’inaptitude et la rupture du contrat de travail ne sont pas liées aux conditions de travail du salarié. À ce stade de la procédure, le piège se sera alors presque refermé sur l’employeur, lequel se précipitera sur l’opportunité offerte de mettre fin à la relation contractuelle. Or, la dégradation invoquée par le salarié aura eu la conséquence attendue par ce der-nier : la rupture de son contrat de travail. Toutefois, le maintien du lien contractuel, dans l’attente de la décision des prud’hommes, alors que la reprise du versement du salaire sera impérative un mois après le constat d’inaptitude, semble irréalisable en pratique au regard des délais judiciaires.

Résiliation et licenciement : quelle articulation ?

Si le salarié a fait l’objet d’un licenciement avant que le juge prud’homal se prononce sur la résiliation judiciaire, par exemple pour inaptitude et impossibilité de reclassement, c’est à la date de la notification du licenciement que sera fixée la rupture du contrat de travail, que la demande de résiliation judiciaire soit ou non jugée bien fondée. Ainsi, le licenciement prononcé ne sera pas mis entre parenthèses dans l’attente de la décision du conseil de prud’hommes.

Toutefois, le licenciement ne rend pas caduque la demande de résiliation judiciaire puisque les conseillers prud’homaux devront analyser en premier lieu si les griefs formulés au titre de la résiliation étaient fondés. Dans l’affirmative, il ne sera pas tenu compte des motifs à l’origine du licencie-ment et celui-ci sera considéré sans cause réelle et sérieuse.

À l’inverse, si la résiliation n’est pas justifiée, le salarié pourra évidemment contester son licencie-ment. Cette stratégie permet alors d’avoir deux axes d’attaque : la résiliation et le licenciement qui, en cas d’arrêt maladie, s’il n’est pas fondé sur l’inaptitude du salarié, supportera le risque de la nullité.
Enfin, en cas d’appel du juge-ment prononçant la résiliation judiciaire, cette procédure suspendra la rupture du contrat de travail. Autrement dit, le lien contractuel ne sera rompu qu’une fois la procédure d’appel terminée.

Stéphane Picard,
Avocat associé, Picard avocats

Références :
[1] Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.95100

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Infographie : la contestation de l’utilisation des heures de délégation

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La transaction, outil de sécurisation des conflits

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 167 de septembre 2018

À l’occasion de récentes décisions rendues par la Cour de cassation, retour sur deux modes de résolution des contestations individuelles en matière de droit du travail : la transaction et la conciliation prud’homale.

En application de l’article 2044 du Code civil, « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Outil privilégié des directions des ressources humaines, la transaction permet de sécuriser le conflit avec un salarié tenant à la conclusion, l’exécution ou la rupture du contrat du travail.

Une rédaction désormais allégée

Après avoir longtemps exigé que la transaction mentionne de façon exhaustive les droits aux-quels le salarié acceptait de renoncer (lesquels devaient être exclusivement liés au différend ayant donné lieu à l’accord transactionnel), la Cour de cassation a récemment confirmé l’assouplissement de sa jurisprudence initiée depuis 2014.

Dorénavant, la haute juridiction considère qu’une formulation globale suffit à sécuriser intégralement le conflit et à se prémunir contre toute éventuelle prétention ultérieure du salarié. Cette solution sonne la fin des listes interminables de renonciation du professionnel. Si ces dernières peuvent encore avoir un intérêt pédagogique pour lui, il convient d’éviter la rédaction de clauses inutilement lourdes et complexes.

Ainsi, la formulation selon laquelle « le présent accord règle définitivement tous les comptes, sans exception ni réserve, pouvant exister entre les parties, lesquelles renoncent irrévocablement à tout droit, action ou indemnité de quelque nature que ce soit qui résulterait de la conclusion, de l’exécution ou de la cessation du contrat de travail » [1] est donc désormais suffisante.

Faute grave, préavis et indemnité transactionnelle globale

En matière de licenciement disciplinaire, le secteur social et médico-social est marqué par des dispositions conventionnelles restrictives : un salarié ne peut être licencié pour un motif disciplinaire s’il n’a pas fait l’objet d’une sanction préalable (convention collective nationale – CCN – du 31 octobre 1951) ou deux (CCN du 15 mars 1966), sauf en cas de faute grave. Ces clauses créent un effet boomerang, incitant en pratique au licenciement pour faute grave. Or, en cas de transaction, la question du sort du préavis était source d’incertitude pour les parties. En effet, en cas de contrôle de l’Urssaf, le risque de redressement était important puisque la doc-trine interne de l’administration consistait à retraiter une partie de l’indemnité globale (dommages et intérêts) en salaire, entraînant ainsi le paiement de charges sociales.

Portant un coup certain à cette position administrative, la Cour de cassation est récemment venue assouplir le régime social de l’indemnité transactionnelle. Elle rap-pelle d’abord que lorsque cette dernière a pour objet l’indemnisation d’un préjudice, l’indemnité versée à l’occasion d’une transaction est exonérée des cotisations sociales. Partant de ce principe, ’indemnité globale forfaitaire transactionnelle versée à un salarié licencié pour faute grave ne saurait être soumise à cotisations, dès lors que les trois conditions cumulatives suivantes sont remplies :

  • l’employeur ne renonce pas au licenciement pour faute grave ;
  • l’indemnité transactionnelle ne comporte aucune indemnité de préavis et de licenciement ;
  • le salarié n’a pas exécuté de préavis et s’engage à ne demander aucune indemnité et à n’en-gager ou poursuivre aucun contentieux [2].

Dès lors, il est impératif de suivre scrupuleusement cette grille en trois temps livrée par la Cour de cassation pour se prému-nir d’un redressement de l’Urssaf.

Pôle emploi et différé spécifique : transaction ou conciliation ?

Rappelons tout d’abord que l’employeur a pour obligation de déclarer auprès de Pôle emploi le versement d’une indemnité transactionnelle réalisé après la rupture du contrat de travail. Sur la base de cette information, Pôle emploi doit alors appliquer un différé spécifique d’indemnisation. D’une durée maximum de 150 jours, celui-ci est calculé en divisant le montant des indemnités de rupture supérieures au minimum légal par 92,6. Un tel différé est venu largement impacter l’opportunité de conclure une transaction puisque l’indemnité transactionnelle est en grande partie « consommée » par le différé spécifique appliqué par Pôle emploi.

Pour gommer cette conséquence, une nouvelle voie a été ouverte : la conciliation prud’homale, considérée par de nombreux praticiens comme le nouvel eldorado de l’optimisation sociale et fiscale. La raison en est relative-ment simple : l’absence de différé spécifique d’indemnisation appliqué par Pôle emploi dès lors que l’indemnité de conciliation versée reste dans le cadre des limites fixées par l’article D1235-21 du Code du travail, outre l’exonération d’impôt sur le revenu et de charges sociales. Ce mode de résolution amiable présente un intérêt majeur pour les salariés dont l’ancienneté est importante et qui disposent d’une rémunéra-tion significative.

Toutefois, une réserve doit être émise quant à cette modalité d’optimiser la sécurisation d’une rupture : à la lecture de l’article L1235-1 du Code du travail, le barème de conciliation ne concerne que les conséquences indemnitaires de la rupture du contrat. En théorie, il ne couvre donc pas le risque lié à la conclusion ou à l’exécution du contrat de travail. De même, un salarié licencié pour faute grave pourrait maintenir des demandes au titre du préavis et de l’indemnité de licenciement. Cependant, rien ne semble s’opposer à ce que les parties étendent le périmètre de la conciliation pour y inclure la conclusion et l’exécution du contrat de travail.

Rupture conventionnelle et transaction : la liaison interdite

Par ailleurs, la rupture conventionnelle homologuée par l’administration pouvant être contestée devant le conseil de prud’hommes, il semblerait logique de pouvoir transiger à la suite d’un tel mode de rupture du contrat de travail. Toutefois, la Cour de cassation est clairement venue mettre un coup d’arrêt à cette pratique en considérant purement et simplement qu’une telle opération n’était pas possible [3].

Cependant, la jurisprudence autorise que la transaction puisse avoir pour objet de régler un différend relatif à l’exécution du contrat de travail rompu par rupture conventionnelle, sur des éléments non compris dans la convention de rupture. Or, dans un contexte conflictuel, le salarié pourrait tout à fait remettre en cause la rupture conventionnelle intervenue et demander qu’elle produise les effets d’un licencie-ment sans cause réelle (versement de l’indemnité de licenciement, du préavis et des dommages et intérêts), en dépit de l’indemnité transactionnelle perçue au titre de l’exécution de son contrat de travail. Étant précisé qu’en tel cas, le salarié est cependant dans l’obligation de restituer à l’employeur l’indemnité de rupture conventionnelle versée en exécution de la convention de rupture [4].

En conclusion, nous venons d’entrer dans l’ère de la conciliation qui annonce peut-être celle à venir de la médiation, surtout si des incitations sociales et fis-cales venaient être attachées à ce mode de résolution alternatif des conflits.

Seuils d’exonération des cotisations sociales

L’appréciation des différents seuils d’exonération de contributions et cotisations sociales est un véritable casse-tête pour les services de paie. Contrairement à une idée répandue, la limite des deux plafonds annuels de la Sécurité sociale (79 464 euros pour 2018) n’est pas le plafond automatique d’exonération de cotisations et contributions sociales. En effet, il convient également de prendre en compte le plus élevé des trois montants suivants : le double de la rémunération annuelle perçue lors de l’année civile précédant la rupture ; le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ; ou 50 % de l’indemnité totale versée. Si aucun de ces montants ne dépasse 79 464 euros, la limite d’exonération sera constituée par le plus élevé des trois montants. La situation du salarié en arrêt maladie doit être regardée avec une attention particulière puisque la Cour de cassation a précisé que l’appréciation de la limite relative au double de la rémunération ne doit pas entraîner une reconstitution du salaire théorique : c’est bien la rémunération effectivement perçue qui doit être prise en compte (Cass. soc., 21 septembre 2017, n° 16-20-580).

Stéphane Picard & Cécile Noël
Picard avocats

Références :
[1] Cass. soc., 31 janvier 2018, n° 16-20.508
[2] Cass. soc., 21 juin 2018, n° 17-19.773
[3] Cass. soc., 26 mars 2014, n° 12-21.136
[4] Cass. soc., 30 mai 2018, n° 16-15.273

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La gestion des heures de délégation

Article publié dans le magazine Direction [s] n° 166 de juillet-août 2018

Les élus du personnel et les salariés investis de mandats syndicaux bénéficient d’un crédit d’heures de délégation. Outre les dispositions du Code du travail réglementant leur régime, le juge précise régulièrement les modalités de leur bonne utilisation.

Pour l’exercice de leurs fonctions représentatives, les salariés élus du personnel ou investis de mandats syndicaux ont droit à un crédit d’heures de délégation dont le nombre varie en fonction de la nature du mandat et de l’effectif de l’entreprise. Si le Code du travail appréhende dans les grandes lignes leur régime (modalités de calcul, temps imputé sur le crédit d’heures…), la jurisprudence répond à un certain nombre de questions pratiques soulevées par leur utilisation.

Que recouvre la liberté d’utilisation du crédit d’heures ?

Les heures de délégation peuvent être employées librement, à l’intérieur comme à l’extérieur de la structure, à condition qu’elles le soient pour une activité conforme à l’objet du mandat et sans que cela ne gêne de façon importante l’accomplissement du travail des autres salariés. En outre, le représentant du personnel est libre d’utiliser son crédit d’heures en une ou plusieurs fois, par fraction d’heures ou de minutes, en fonction des besoins découlant du mandat.

En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’activité, en particulier le remplacement du personnel « en délégation », l’employeur peut exiger d’être informé avant que celui-ci ne s’absente de son poste pour utiliser son crédit d’heures.

Attention. Il ne peut s’agir que d’une simple information et non d’une demande d’autorisation d’absence. Par ailleurs, il n’existe pas de délai légal de prévenance. En théorie, une information de dernière minute n’est pas abusive, sauf si son caractère soudain est injustifié et de nature à nuire à l’organisation du travail [1].

Heures de délégation et temps de travail. De plus, il n’y a pas obligatoirement de corrélation entre l’utilisation des heures de délégation et les horaires de travail : dès lors que les nécessités du mandat le justifient, le crédit d’heures peut être utilisé en dehors de l’horaire normal de travail. C’est le cas, par exemple, pour un élu travaillant de nuit et souhaitant rencontrer des salariés en journée. Les heures de délégation utilisées hors du temps de travail doivent toutefois respecter la réglementation sur sa durée maximale ainsi que le repos quotidien et hebdomadaire.
Attention. Il n’est pas possible d’imputer, par avance, le contingent d’heures de délégation d’un représentant du personnel lors de l’établissement des plannings de travail [2].

La suspension du contrat de travail empêche-t-elle l’utilisation des heures ?

De manière générale, la jurisprudence considère que la sus-pension du contrat de travail n’emporte pas celle du mandat. Le représentant du personnel peut ainsi utiliser son crédit d’heures durant ses congés payés, un arrêt maladie, une absence, une grève, en cas de dispense de préavis et même à l’occasion d’une mise à pied disciplinaire ou conservatoire.
Pendant ces périodes, le salarié devra toujours être convoqué par l’employeur à toutes les réunions périodiques de l’institution représentative à laquelle il appartient. Néanmoins, ce principe de non-suspension du mandat n’est pas sans soulever des difficultés.

Paiement des heures de délégation et arrêt maladie. Pour qu’un salarié puisse réclamer le paie-ment d’heures de délégation prises durant un arrêt maladie, la Cour de cassation exige qu’il ait obtenu, de son médecin traitant, l’autorisation préalable d’exercer une telle activité [3] lors de la délivrance de l’arrêt de travail. Se pose alors la problématique, non résolue à ce jour par la jurisprudence, de l’articulation et du potentiel cumul entre l’obligation pour l’employeur de payer des heures de délégation, dans la limite de l’autorisation du médecin traitant, et l’éventuel maintien de salaire.

Paiement des heures de délégation et congés. En matière de congés, la Cour de cassation considère que le salarié ne peut pas bénéficier à la fois du paie-ment des heures de délégation et de l’indemnité de congés payés [4]. En effet, admettre un tel cumul reviendrait à octroyer à l’élu un avantage par rapport aux autres salariés, lesquels ne peuvent pas travailler et être rémunérés durant leurs congés. Faut-il considérer qu’en tel cas, les heures de délégation ne sont tout simple- ment pas rémunérées ? Rien n’est moins sûr.

En effet, si le représentant du personnel ne doit subir aucune perte de rémunération du fait de l’exercice de son mandat, il doit également bénéficier du même droit à congé que les autres salariés, d’autant que la prise des congés payés est une obligation d’ordre public. Dès lors que les heures de délégation sont considérées par la loi comme du temps de travail [5], elles ne sauraient amputer le droit à congé du salarié.

En pratique et dans l’attente d’une clarification de la jurisprudence, il conviendrait d’inter-rompre le congé, et donc le verse-ment de l’indemnité afférente, le temps de l’utilisation des heures de délégation, lesquelles seraient ainsi payées non pas au titre des congés payés, mais comme du temps de travail effectif. Le temps de congé amputé par le crédit d’heures utilisé devrait alors être reporté ultérieurement, afin que le salarié bénéficie effective-ment de son repos.

Toutefois, si les heures de délégation peuvent être prises par fraction d’heures, tel n’est pas le cas des congés payés sont le décompte doit en principe s’effectuer en jours ouvrables [6]. Pour contourner cette difficulté, rien ne semble s’opposer à ce que l’employeur mette en œuvre un « compteur de récupération », en demi-journées ou en journées, afin que le représentant du personnel puisse prendre son congé quand suffisamment d’heures seront accumulées. Ce n’est alors qu’en cas de rupture du contrat de travail, si le salarié n’a pas pu bénéficier du report de son congé non pris, que le solde de ces heures lui sera rémunéré en espèce. C’est en tout cas le mécanisme retenu par la Cour de cassation s’agissant du repos compensateur non pris du fait de l’exercice du mandat [7].

Quid du crédit d’heures pour les salariés à temps partiel ?

es salariés à temps partiel bénéficient du même crédit d’heures que ceux à temps complet. Cependant, leur temps de travail mensuel ne peut pas être réduit de plus d’un tiers par l’utilisation de leurs heures de délégation. Le solde éventuel de ces heures peut alors être utilisé en dehors des heures de travail [8], payé en heures complémentaires, mais sans que soient appliquées les dispositions limitant la durée du travail à temps partiel [9].

Peut-on contester l’utilisation des heures de délégation ?

Le représentant du personnel bénéficie d’une présomption de bonne utilisation de son crédit d’heures, c’est-à-dire en conformité avec son mandat. Outre l’impossibilité pour l’employeur d’effectuer un contrôle préalable, celui-ci a donc l’obligation de les payer intégralement avant de sou-lever la moindre contestation [10].

Par ailleurs, avant toute action judiciaire en remboursement des heures litigieuses, la jurisprudence exige que l’employeur ait d’abord demandé au salarié des précisions sur les activités exercées pendant lesdites heures [11].
Si le salarié refuse de fournir cette explication, deux procédures judiciaires doivent se succéder devant le conseil de prud’hommes. Une première, généralement en référé, pour obtenir lesdites précisions et, au besoin, une seconde pour agir en remboursement. En pratique, il convient d’être prudent avant d’engager une telle procédure. En effet, les conseillers prud’homaux se révèlent frileux à prononcer le remboursement des heures de délégation. De plus, faute pour l’employeur de prouver une utilisation non conforme, le représentant du personnel pour-rait être fondé à solliciter des dom-mages et intérêts.

En revanche, les heures de dépassement prises au titre de cir-constances exceptionnelles, tout comme celles prises en cas d’arrêt maladie sans autorisation préalable du médecin traitant, ne bénéficient pas de la présomption de bonne utilisation. L’employeur peut ainsi vérifier l’existence de telles circonstances avant de les rémunérer. S’il refuse leur paiement, ce sera inversement au salarié d’engager une procédure judiciaire et de justifier de leur nécessité pour en obtenir rémunération.

Peut-on sanctionner une mauvaise utilisation ?

En principe, le salarié protégé bénéficie d’une immunité dans l’exercice de son mandat, le pouvoir disciplinaire de l’employeur étant limité aux seuls faits constituant un manquement aux obligations professionnelles. Il est toutefois admis que l’employeur puisse engager une procédure disciplinaire en cas d’exercice abusif du mandat, ce qui est apprécié au cas par cas. Par exemple s’il y a utilisation frauduleuse de bons de délégation (lire l’encadré) falsifiés pour justifier de retards [12]. À cet égard, une condamnation au remboursement des heures de délégation pour utilisation non conforme ne saurait suffire à fonder, à elle seule, une sanction pour exercice abusif du mandat afin de sanctionner le salarié. Enfin, les règles relatives à l’utilisation du crédit d’heures pour les membres du comité social et économique (CSE) étant pour la plupart les mêmes que pour les « anciennes instances » [13], la jurisprudence rendue à l’égard de ces dernières devrait continuer à s’appliquer.

Un outil de gestion : le bon de délégation

Le bon de délégation est un formulaire délivré à un représentant du personnel qui souhaite s’absenter de son poste de travail pour exercer son mandat. Permettant l’information préalable de l’employeur et la comptabilisation des heures de délégation prises au cours du mois, ce dispositif ne saurait constituer une demande d’autorisation d’absence. En pratique, il est efficace pour assurer la gestion administrative des heures de délégation, et le sera d’autant plus dès lors que les membres du CSE ont la possibilité de cumuler leurs heures de délégation sur douze mois et de se les répartir entre eux. En outre, la production d’un bon de délégation se révèle utile en cas de contestation judiciaire de l’utilisation conforme. Toutefois, il ne peut pas être mis en place unilatéralement par l’employeur, la jurisprudence exigeant une concertation préalable avec l’institution représentative concernée (accord collectif sur l’exercice du droit syndical, délibération du CE ou du CHSCT…) [Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-13.681].

Cécile Noël
Juriste, Picard avocats

Références :
[1] Cass. soc., 12 fév. 1985, n° 82-41.647
[2] Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.823
[3] Cass. ch. mixte, 21 mars 2014, n° 12-20.002
[4] Cass. soc., 19 oct. 1994, n° 91-41.097
[5] Code du travail, article L2143-17
[6] Code du travail, article L3141-3
[7] Cass. soc., 27 nov. 2013, n° 12-24.465
[8] Code du travail, article L3123-14
[9] Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-13.681
[10] Cass. soc. 19 mai 2016, n° 14-26.967
[11] Cass. soc., 15 déc. 1993, n° 91-44.481
[12] Conseil d’État, 1/4 SSR,
17 avril 1992, n° 89834
[13] Lire Direction[s] n° 162 p. 30

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Comité social et économique : installation et attributions

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 161 de février 2018

Au 1er janvier 2020, les actuelles instances représentatives élues du personnel seront réunies au sein du comité social et économique (CSE). Tour d’horizon des missions et des principales règles de déploiement de cette nouvelle organisation.

La fusion des instances représentatives du personnel (IRP) au sein du comité social et économique (CSE° est assurément le plus gros chantier engagé par les ordonnances dites « Macron » réformant le Code du travail. D’ici au 1er janvier 2020, il se substituera notamment aux délégués du personnel (DP), au comité d’entreprise (CE) et au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Comment les structures du secteur social et médico-social vont-elles appréhender cette nouvelle instance, présentée comme une simplification des obligations de l’employeur ?

1. Mise en place du CSE

Des seuils plus difficiles à atteindre

Jusqu’alors, l’employeur était tenu d’organiser des élections pour la mise en place des représentants du personnel lorsque le seuil d’effectif (11 ou 50 salariés) était atteint pendant 12 mois, consécutifs ou non, au cours des trois dernières années.

Si la réforme n’a pas changé les règles de calcul des effectifs, en revanche elle a apporté une importante modification concernant la période de référence à prendre en compte. Désormais, l’instauration du CSE n’est obligatoire que si l’effectif d’au moins 11 salariés est atteint pendant 12 mois continus. Il en va de même pour le franchissement du seuil de 50 salariés impliquant les nouvelles attributions du CSE, ainsi que pour la suppression de l’instance en cas de diminution de l’effectif en dessous de 11 salariés.

En pratique, cette modification risque de laisser la part belle aux « effets de seuil » dans la gestion des embauches et des ruptures de contrat de travail par l’employeur. Prenons l’exemple d’une structure qui atteint 11 salariés depuis 11 mois, si l’employeur envisage de rompre la période d’essai d’un salarié, la réforme pourrait inciter à le faire avant l’expiration du 12ème mois, afin de rester en dessous du seuil de 11 salariés durant 12 mois consécutifs.

Les Délégués syndicaux écartés du conseil D’ENTREPRISE ?

Par accord d’entreprise ou (uniquement pour celles dépourvues de DS) par accord de branche étendu, le comité social et économique (CSE) peut être remplacé par un conseil d’entreprise. Une telle instance dispose, outre des attributions étendues du CSE, de la compétence pour négocier, conclure et réviser tous les accords d’entreprise ou d’établissement, y compris ceux ayant été signés par les DS. Ainsi privés de leur pouvoir négociation, ces derniers ne seraient plus que les porte-paroles de leurs syndicats et des revendications des salariés. Il y a donc fort à parier que les organisations de salariés ne seront pas promptes à négocier la mise en place d’un conseil d’entreprise, le DS n’en étant pas membre de droit. Il s’agira d’un point clé de la négociation, les DS étant alors susceptibles de conditionner leur accord à leur présence au sein de l’instance.

Un calendrier à géométrie variable

En principe, le CSE doit être mis en place lorsque les mandats de l’une des actuelles IRP (DP, CE, CHSCT, délégation unique du personnel -DUP- ou instance regroupée) arrivent à leur terme. Et, quoi qu’il en soit, avant le 31 décembre 2019, date butoir à laquelle les mandats prendront fin de plein droit. En attendant, une certaine marge de manœuvre est laissée aux employeurs. Deux hypothèses sont à envisager.

  • Les mandats prenant fin entre le 1er janvier et le 31 décembre 2018 peuvent être prorogés ou réduits à compter de leurs échéances pour une durée d’un an maximum, soit (au choix de l’employeur) par accord collectif, soit par décision unilatérale après consultation du CE ou, à défaut, des DP (ou de la DUP de l’instance regroupée).
  • Si, dans les organisations à établissements distincts, les mandats en cours comportent des termes différents, il sera également possible de les proroger, dans les mêmes conditions et pour une durée d’un an maximum, de manière à ce que leur terme coïncide avec la date de la mise en place du comité social et économique et, le cas échéant, des CSE d’établissements et CSE central.

Les structures complexes, comportant de multiples établissements, devront donc réfléchir à la stratégie la plus adaptée.

Désormais, l’instauration du CSE n’est obligatoire que si l’effectif d’au moins 11 salariés est atteint pendant 12 mois continus.

Etablissement distincts : la primauté de l’employeur

Comme pour les anciennes IRP, les CSE peuvent être mis en place à différents niveaux : entreprise, établissement, unité économique et sociale (UES).

Mais c’est bel et bien à propos de « l’établissement distinct » que la réforme change vraiment la donne.

Jusqu’alors, le nombre et le périmètre des établissements distincts étaient convenus entre l’employeur et les délégués syndicaux (DS) au sein du protocole d’accord préélectoral (PAP). En cas de désaccord, la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Directe) tranchait, l’employeur ne pouvant décider seul que si aucune organisation syndicale ne s’était présentée à la négociation du PAP.

Désormais, s’il n’y a pas d’accord entreprise (majoritaire à compter du 1er mai 2018) ou, à défaut, et en l’absence de DS, d’accord conclu avec le CSE, c’est l’employeur qui fixe le nombre et le périmètre de ces établissements distinct, en fonction de l’autonomie de gestion du responsable de la structure, notamment en matière de gestion du personnel (et non plus selon le critère de jurisprudentiel de la « communauté de travail »). L’employeur prend ainsi la main sur un sujet aussi fondamental que celui la détermination des établissements distincts.

En cas de litige, les syndicats représentatifs dans l’entreprise et les organisations syndicales ayant constitué une section (ou le CSE si les négociations se sont déroulées avec lui) pourront saisir la Directe, dans un délai de 15 jours à compter de la date à laquelle ils en sont été informés. La décision de l’autorité administrative pourra alors elle-même faire l’objet d’un recours devant le tribunal d’instance.

Des modalités d’élEction presque inchangées

Les règles applicables aux élections de la délégation du personnel au CSE sont très largement calquées sur celles du CE et des DP. Toutefois, quelques nouveautés sont à signaler, parmi lesquelles figure une exception au nombre de collège électoraux : dans les périmètres n’élisant qu’un seul membre de la délégation du personnel titulaire et un membre suppléant, un collège électoral unique est mis en place (sur le modèle existant pour les DP).

Par ailleurs, lorsque l’employeur a engagé le processus électoral et qu’un procès-verbal de carence été établi, la demande d’organisation d’élection par un syndicat ou un salarié ne peut intervenir que dans un délai de six mois après la production de ce procès-verbal.

2. Des attributions variables

Le CSE se voit attribuer des missions plus ou moins importantes selon que « l’effectif de l’entreprise » atteint ou non 50 salariés. Il semble ressortir de cette formulation que dans les structures qui atteignent ce seuil et qui comprennent plusieurs établissements distincts dont certains emploient moins de 50 salariés, les CSE « locaux » devront nécessairement exercer des attributions étendues. Si des précisions complémentaires sont toujours susceptibles d’être apportées par dès la loi de ratification des ordonnances, il conviendra de rester attentif à l’interprétation qui pourrait être adoptée par l’administration et la jurisprudence sur cette question.

L’employeur prend la main sur un sujet aussi fondamental que celui de la détermination des établissements distincts.

La CSE à attributions réduites

Lorsque que les effectifs de ‘l’Enterprise n’atteignent pas 50 salariés, le CSE se voit octroyer bon nombre de missions jusqu’alors dévolus au DP : la présentation des réclamations individuelles et collectives des salariés, la contribution à la promotion de santé, de la sécurité et des conditions de travail, la réalisation d’enquêtes en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles ou à caractère professionnel, ainsi que la saisine de l’inspection du travail.

Par ailleurs, le CSE « réduit » reste consulté en cas de licenciement économique collectif, de reclassement d’un salarié déclaré inapte par le médecin du travail, ainsi qu’au sujet des congés payés.

Ces attributions apparaissent cependant moindres par rapport à celles des délégués du personnel, lesquels bénéficiaient notamment d’un droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles qui ne serait pas justifiée par la nature de la tache à accomplir. Toutefois, les attributions du CSE peuvent être étendues par voie d’accords collectifs de travail ou d’usages plus favorables.

Le CSE à attributions étendues

Outre les attributions précitées, le CSE mis en place dans les structures employant au moins 50 salariés exerce des attributions étendues qui correspondent, sous réserve de quelques adaptations, à celles anciennement dévolues au CE et au CHSCT, en particulier s’agissant des informations et consultations périodes ponctuelles.

Ces attributions étendues comprennent également le droit d’alerte accordé aux DP, ceux attribués au CE (alerte économique notamment) et celui prévu pour le CHSCT en cas de danger grave et imminent ainsi qu’en matière de santé publique et d’environnement.

3. Mesures transitoires

En attendant la mise en place du CSE, les règles du Code du travail relatives aux anciennes instances et à leurs réunions communes demeurent applicables dans leur rédaction antérieure. La réforme ne sera que pleinement achevée qu’après la publication de la loi de ratification des ordonnances. Le législateur est donc toujours susceptible d’apporter de nouvelles précisions concernant le CSE.

Accords collectifs : les compteurs à zéro !

Les stipulations des accords d’entreprise relatifs aux DP, CE, CHSCT (composition, moyen etc…), aux instances regroupées et à leurs réunions communes cessent de produire effet à compter du premier tour des élections des membres de la délégation du personnel au CSE. Les délégués syndicaux n’étant pas visés (la réforme ne les supprime pas), il semble que les accords portant sur le droit syndical ne soient pas touchés par cette caducité. Ne sont également pas concernés les dispositions conventionnelles de branche, ni les usages et les engagements unilatéraux. Issue de l’ordonnance dite « balai », cette disposition est particulièrement étonnante car elle semble remettre en cause, sans période de survie et sans la moindre contrepartie, la volonté des partenaires sociaux.

A suivre dans le prochain numéro, les modalités de fonctionnement et les moyens alloués à la nouvelle instance.

Cécile Noël,
Juriste en droit du travail,
Picard avocats

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Infographie : grève dans les EHPAD et l’aide à domicile

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La gestion d’un temps partiel thérapeutique

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 159 de décembre 2017

Le temps partiel thérapeutique permet à un salarié de reprendre son travail après un arrêt avec des horaires aménagés. Ce qui implique des formalités pour l’employeur, ainsi que certaines précautions, notamment en matière d’indemnités et de contrat.

Le temps partiel thérapeu­tique (qui n’est pas néces­sairement un mi-temps) permet à un salarié de reprendre progressivement le tra­vail par le biais d’un temps partiel.

1. Qui peut en bénéficier et comment ?

Tous les salariés ayant fait l’objet d’un arrêt de travail indemnisé à temps complet peuvent se voir prescrire une reprise à temps partiel par leur médecin traitant et bénéficier au titre du temps non tra­vaillé des indemnités journalières de Sécurité sociale (IJSS). La percep­tion d’IJSS suppose en principe que la reprise à temps partiel fasse immédiatement suite à l’arrêt de tra­vail indemnisé à temps complet [1]. Cette condition ne s’applique cependant pas aux personnes atteintes d’affections de longue durée ou victimes d’un accident du travail ou d’une maladie profession­nelle, dès lors que l’impossibilité de poursuivre l’activité à temps com­plet résulte de cette affection [2]. À noter. L’employeur ne peut pas prendre l’initiative d’une telle modalité.

Si le Code du travail ne prévoit pas de durée maximale de mise en oeuvre du temps partiel thérapeu­tique pour un même salarié, celle-ci est, en pratique, fonction de la durée maximale de versement des IJSS sur les heures non travaillées. Laquelle ne peut dépasser de plus de 12 mois la limite maximale classique de perception des IJSS en cas d’arrêt maladie (trois ans en cas d’affection de longue durée ; 360 IJSS sur une période de trois ans dans les autres cas).

Concrètement, le salarié trans­met les volets 1 et 2 de la prescrip­tion de son médecin traitant à la caisse primaire d’assurance mala­die – CPAM et le volet 3 à son employeur. Ce dernier adresse à la caisse une attestation de salaire (Cerfa 11135*04), fixant son accord de principe sur une reprise à temps partiel, la nature de l’em­ploi et sa rémunération.

Attention. L’employeur doit envoyer à la CPAM une nouvelle attestation à chaque changement dans la nature de l’emploi ou de la rémunération.

Cette attestation est cependant établie sous réserve de l’avis du médecin du travail. Sur la base de ces éléments et de l’avis du méde­cin-conseil de la CPAM (portant sur le fait de savoir si la reprise à temps partiel ou le travail lui-même sont de nature à favoriser l’amélioration de l’état de santé de l’assuré), la caisse décide, ou non, la prise en charge et la notifie à l’assuré. L’employeur doit alors organiser une visite de reprise auprès du médecin du travail, afin que celui-ci se prononce sur l’apti­tude du salarié à la reprise dans ces conditions. Si la réponse est positive, le temps partiel thérapeu­tique peut entrer en vigueur.

2. Peut-on refuser cette modalité ?

 Si l’employeur a la possibi­lité de rejeter la demande d’un salarié de passer à temps par­tiel, dans le cas d’un temps partiel thérapeutique la question est plus délicate. Il s’agit en effet de préser­ver la santé du professionnel et de permettre son retour au travail. La Cour de cassation a ainsi eu l’occa­sion, en se fondant sur l’obligation de sécurité de résultat à la charge de l’entreprise, d’accepter la demande en résiliation judiciaire formée par un salarié à l’encontre de son employeur qui s’était oppo­sé à son retour en temps partiel thérapeutique tout en le rémuné­rant mais en le dispensant de tra­vail [4]. Tout refus de reprise dans ces conditions expose donc l’em­ployeur à un risque de recours prud’homal et de condamnation pour non-respect de son obligation de sécurité.

3. Faut-il un avenant au contrat ?

 Aucun texte ne prévoit cette obligation. Pour autant, la reprise à temps partiel thérapeu­tique ne saurait s’analyser, au regard du droit du travail, que comme une modification tempo­raire de la durée du travail, élément essentiel du contrat, qui suppose l’accord du salarié. Par conséquent, il ne peut qu’être recommandé de procéder à la signature d’un ave­nant temporaire. Attention à sa rédaction ! Il conviendra d’y mentionner :

  • sa cause et son caractère temporaire ;
  • le fait que le retour au contrat de travail initial aura lieu dès que la CPAM cessera le versement des IJSS et que le médecin du travail aura levé ses réserves sur l’aptitude du salarié ;
  • la durée de travail à effectuer par le salarié, la répartition des heures et les tâches confiées.

Le tout devant, bien entendu, être conforme aux recommanda­tions du médecin-conseil de la CPAM et du médecin du travail. Dans la mesure où le temps par­tiel thérapeutique intervient à l’initiative du salarié, le respect de la durée minimale de travail heb­domadaire instituée par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 n’est pas obligatoire.

4. Quid de la situation financière du salarié ?

 Le professionnel bénéficie de la rémunération corres­pondant à son activité salariée à temps partiel, tout en percevant des IJSS pour la partie non travail­lée de son temps plein initial. La somme de ces deux sources de revenus ne peut en aucun cas être supérieure au salaire antérieure­ment perçu. Le montant des indemnités est fixé par la caisse.

5. Peut-on licencier un salarié en temps partiel thérapeutique ?

 L’employeur peut parfaite­ment licencier un salarié dans ce cas pour un motif personnel ou économique. Néanmoins, sera considéré comme nul, car discrimi­natoire au regard de l’état de santé du salarié, le licenciement fondé sur le temps partiel thérapeutique lui-même (sur la demande de pas­sage à ces conditions en elle-même ou sur le refus par un salarié recon­nu apte au travail uniquement dans ces conditions d’exercer ses fonc­tions à temps plein [5] par exemple) ou, plus globalement, sur l’état de santé du professionnel découlant du temps partiel thérapeutique. Il s’agit donc d’une situation qui implique la plus grande précaution de la part de l’employeur.

6. Et après ?

Attention, la cessation du versement des IJSS ou la mise en invalidité ne peuvent en aucun cas suffire à mettre fin à cet aménagement du temps de tra­vail. En l’absence de dispositions légales ou réglementaires spéci­fiques, ce sont celles de la procé­dure d’aptitude/inaptitude qui s’appliquent.

Au terme de la durée de la mesure fixée par l’avis initial du médecin du travail, bien que les textes ne le prévoient pas, l’em­ployeur doit organiser une nou­velle visite de reprise en vue du retour à temps plein. À la suite à cette visite, qui relève de l’obliga­tion de sécurité de l’employeur, le médecin du travail se prononcera sur l’aptitude ou l’inaptitude du professionnel.

Comment recourir au CDD de remplacement ?

L’employeur a-t-il la possibilité d’utiliser le CDD de remplacement pour compléter le poste d’un salarié qui, après un arrêt, reprend son travail dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique ? La réponse est oui. Attention cependant à la rédaction de ce contrat. Celui-ci doit comporter les mentions obligatoires de ce type de CDD, notamment l’identification expresse de la personne remplacée et de sa qualification. Point de vigilance : la Cour de cassation [1] a récemment précisé que le CDD établi pour suppléer un professionnel en temps partiel thérapeutique prend fin au terme de la mesure, même si le salarié remplacé ne reprend pas son poste à temps complet.
[1] Cass. soc. n° 14-10.652 du 23 novembre 2016

Marie Lahémade,
Picard avocats

[1] Cass. civ. 2e ch, n° 16-10.374 du 30 mars 2017,
[2] Code de la Sécurité sociale, art. L323-3
[3] Code de la sécurité sociale, art. L323-1, R323-1 et R323-3
[4] Cass. soc. n° 13-28.792 du 13 mai 2015
[5] Cass. soc. n° 10-15.905 du 11 juillet 2012

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Rectifier une erreur dans un contrat de travail

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 157 d’octobre 2017

Coquilles, erreurs concernant la rémunération, la qualification, les dates, la durée ou la nature du contrat… L’employeur peut dans certains cas signer unilatéralement un avenant afin de corriger le tir. Et d’éviter le passage devant les magistrats.

 L’employeur peut-il revenir sur une erreur affectant les stipulations d’un contrat de travail déjà signé et qui lui est défavorable ? Cette interrogation n’est pas ano­dine dans le secteur sanitaire et social, sachant que les carences passées dans la rédaction des contrats peuvent avoir des con-séquences économiques désas­treuses en cas de recours aux prud’hommes.

Répandue en droit civil et com­mercial, la notion d’erreur est terre de mystères pour le droit du travail. Pas seulement parce que ses rap­ports avec cette discipline sont peu explorés par les directions des res­sources humaines et juridiques, mais surtout en raison de l’absence d’étude approfondie de la jurispru­dence sociale en la matière. Or, la notion recèle de riches potentiali­tés pour réparer légitimement les erreurs passées, qu’elles portent sur les éléments essentiels ou pas du contrat de travail.

Les erreurs matérielles pardonnées par les juges

Les erreurs reconnues en droit du travail sont nombreuses. Les juges ont à rectifier en général les fautes suivantes : coquilles rédac­tionnelles [1], montant et structure de la rémunération [2], qualifica­tion contractuelle [3] et classifica­tion professionnelle [4], dates de début [5] et de fin [6] d’un contrat de travail à durée déterminée, durée contractuelle mensuelle de tra­vail [7], nature du contrat [8]. En clair, ils pardonnent les mala­dresses des employeurs.

Le traitement de l’erreur par les juridictions sociales

On peut ainsi distinguer deux cas de figure qui emportent des traitements différents par les juges. Le premier cas est le plus simple : l’erreur a débouché sur un contrat de travail incohérent, tant l’absur­dité est manifeste. Par exemple, s’il est intitulé « contrat de travail à durée indéterminée », comme convenu dès le départ, mais stipu­lant les dates de début et de fin de la relation de travail.

Le deuxième cas est plus com­pliqué : c’est l’hypothèse d’une sti­pulation obscure menant à des compréhensions différentes. L’em­ployeur et le salarié ont ensemble voulu quelque chose qu’ils ont mal exprimé ; une des parties s’ac­croche au texte et l’autre à son esprit, il y a décalage dans la volonté de la première et de la seconde. Dans cette situation, pour éclairer sa décision, le juge prendra en compte les pratiques internes de l’organisation, le com­portement du salarié, mais aussi les pratiques externes : à savoir l’environnement et les pratiques du secteur d’activité.

L’avenant interprétatif, avec précaution

L’employeur peut-il, sans obte­nir l’accord écrit du salarié, revenir unilatéralement sur une erreur matérielle contenue dans le contrat de travail sans passer par le juge ? La réponse est oui. Ce par la voie d’un « avenant interpréta­tif », signé par lui seul. Cette méthode a été approuvée par la jurisprudence [9] et n’a pas été considérée comme une modifica­tion unilatérale du contrat. Dans ce cas, en présence d’une simple rectification, la procédure relative à la modification du contrat n’est pas applicable.

Dans l’esprit des juges, cette méthode résulte d’une simple interprétation : il s’agit exclusive­ment d’éclairer de bonne foi le contenu du contrat de travail. La notion d’« erreur matérielle » laisse alors une certaine marge de manoeuvre à l’employeur, mais introduit également une source d’insécurité pour le salarié. En effet, cette disposition pourrait éventuellement conduire certains employeurs à rectifier des erreurs qui, en réalité, n’en sont pas… Impardonnable.

Et dans le secteur sanitaire et social ?

Par trois fois, les juridictions sociales ont reconnu des erreurs matérielles affectant les contrats de travail de salariés relevant du champ sanitaire et social. Dans deux affaires, il s’agissait d’erreurs rédactionnelles affectant le calcul et la composition de la rémunération [1]. Dans le troisième cas [2], il était question de rémunération liée à une erreur consécutive à une application volontaire et partielle de la convention collective de 1951.
[1] Cour d’appel de Rennes, 19 mai 2017
[2] Cour d’appel de Lyon, 31 mars 2011

Mehdi Gharbi,
Picard avocats

 [1] Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 23 juin 2005
[2] Cour d’appel de Papeete, 14 août 2014
[3] Cour d’appel de Bastia, 2 juillet 2014
[4] Cour d’appel de Nancy, 10 décembre 2014
[5] Cour d’appel de Rennes, 19 juin 2015
[6] Cour d’appel de Toulouse, 17 janvier 2014
[7] Cour d’appel de Bourges, 2 décembre 2011
[8] Cour d’appel de Toulouse, 17 janvier 2014
[9] Cass. soc., 7 mars 2012, n° 10-16.611 à n° 10-16.614

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Interrompre la période d’essai d’un salarié

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 154 de juin 2017

Qu’elle soit à l’initiative du salarié ou de l’employeur, la rupture de la période d’essai ne souffre pas l’approximation. Revue de détail des quelques idées reçues et pratiques malavisées qui nourrissent encore beaucoup le contentieux prud’homal, et qui peuvent coûter cher à l’employeur.

Il n’est pas possible de mettre fin à la période d’essai d’un salarié pour n’importe quel motif. Ni de rompre une rela­tion de travail du jour au lende­main sans aucune procédure en pensant, même de bonne foi, être dans la période d’essai alors que celle-ci est terminée… Ces pra­tiques malencontreuses, sources inépuisables de litiges, ne cessent de nourrir le contentieux judiciaire en la matière. Pourtant, depuis la loi du 25 juin 2008, la période d’essai fait l’objet d’un véritable statut juridique et d’une définition légale. Le Code du travail dispose que la période d’essai « permet à l’employeur d’évaluer les compé­tences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d’appré­cier si les fonctions occupées lui conviennent ». Il est impératif de bien maîtriser les principes et règles de cet outil, afin de « trans­former l’essai » à son avantage.

Exigence contractuelle

Il convient d’abord de rappeler qu’une période d’essai est inoppo­sable à un salarié si celui-ci a déjà été embauché dans le passé sur des postes identiques, et ce, quelle que soit la nature des contrats antérieurs [1]. Par ailleurs, en cas de contrats à durée déterminée (CDD) successifs, la période d’es­sai doit être réduite proportionnel­lement à la durée globale des contrats. Dans l’hypothèse cette fois-ci de l’embauche d’un nou­veau salarié, l’instauration d’une période d’essai ne se présumant pas, celle-ci doit être formellement prévue par le contrat de travail. Sans accord exprès, il ne peut y avoir de période d’essai, et le sala­rié est considéré comme étant embauché définitivement dès le premier jour [2].

Une période d’essai est inopposable à un salarié si celui-ci a déjà été embauché sur des postes identiques.

Respecter les durées prévues…

Le Code du travail indique une durée maximale de la période, qui varie selon la catégorie profes­sionnelle à laquelle le salarié appartient et la nature de son contrat. Dans le cadre d’un CDD, elle est proportionnelle à celle du contrat :

Concernant les contrats à durée indéterminée (CDI), la période d’essai ne peut initiale­ment excéder : un jour travaillé par semaine, dans la limite de deux semaines civiles, pour les contrats de moins de 6 mois ; un mois pour les contrats de plus de 6 mois.

Ces durées peuvent être renou­velées une fois, la durée totale de la période d’essai ne pouvant dépasser respectivement quatre mois pour les premiers ; six mois pour les deuxièmes ; huit mois pour les derniers.

Pour être licite, le renouvelle­ment doit non seulement être prévu par un accord de branche étendu [3] (un accord d’entreprise n’est donc pas valable), mais éga­lement par le contrat de travail. En outre, il nécessite l’accord exprès du salarié et ne peut donc résulter d’une décision unilatérale de l’employeur. Enfin, cet accord doit être demandé au cours de  la période d’essai initiale avant son expiration [4].

… et le délai de prévenance

Le salarié à l’origine de la rup­ture doit respecter un délai de pré­venance dont la durée est de 48 heures réduite à 24 heures lorsque son ancienneté est infé­rieure à huit jours. Lorsque l’ini­tiative vient de l’employeur, le pro­fessionnel est averti dans un délai qui ne peut être inférieur à :

L’inobservation de ce délai par l’employeur n’entraîne pas auto­matiquement la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse [5], tant que l’essai a été rompu avant son terme. Dans cette hypothèse, l’em­ployeur doit verser au salarié une indemnité compensatrice égale aux salaires et avantages corres­pondant à la durée du délai de pré­venance non exécuté, indemnité compensatrice de congés payés comprise [6]. Dans le cas contraire, le respect du délai de prévenance prolongeant le terme théorique de l’essai donne naissance à un nou­veau contrat de travail à durée indéterminée qui ne peut être rompu à l’initiative de l’employeur que par un licenciement [7].

Les ruptures abusives ou irrégulières sanctionnées

Cette interruption n’obéit pas aux règles communes s’appliquant aux contrats de travail. L’em­ployeur peut donc mettre fin à l’essai de façon discrétionnaire, sans énoncer de motifs, mais à condition qu’il se repose sur une appréciation des aptitudes du sala­rié. À cet effet, les circonstances entourant la rupture ne doivent pas révéler une attitude discrimi­natoire de l’employeur. Ce serait le cas par exemple s’il est établi que ce dernier a mis fin au contrat pour les motifs suivants : situation de grossesse, opinion syndicale, religieuse, situation de famille.

On parle également de rupture abusive lorsqu’elle procède d’une intention de nuire, a été détournée de sa finalité, ou en cas de légè­reté blâmable.

Les circonstances entourant la rupture ne doivent pas révéler une attitude discriminatoire de l’employeur.

Enfin, si l’employeur décide de rompre pour un motif discipli­naire ou économique, il doit obli­gatoirement respecter les procé­dures de licenciement adaptées (bénéfice des mesures du plan de sauvegarde de l’emploi, convoca­tion à entretien disciplinaire…).

Qu’elle soit utilisée pour raison d’essai non concluant ou pour un autre motif, la vigilance et l’an­ticipation sont les atouts d’une rupture maîtrisée.

Mehdi Gharbi,
Picard Avocats

[1] Cass. soc., 26 févr. 2002, n° 00-40.749
[2] Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-25.652
[3] Dans la branche sanitaire sociale et médico-sociale à but non lucratif (Bass), l’accord Unifed signé en juin 2009 avec la CFTC et CFE-CGC pour introduire le principe du renouvellement des périodes d’essai a fait l’objet d’une opposition majoritaire (CFDT, CGT et FO). Il est donc réputé non écrit.
[4] Cass. soc., 17 janvier 1995, n° 91-43.011
[5] Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-23.428
[6] Ordonnance n° 2014-699 du 26 juin 2014, art. 19
[7] Cass. soc., 5 novembre 2014, n° 13-18.114

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Les pièges du contrat de travail à durée déterminée

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 153 de mai 2017

Utilisé quotidiennement par les structures du secteur social et médico-social, le contrat de travail à durée déterminée (CDD) est une source inépuisable de contentieux nécessitant une mise à jour régulière des connaissances en la matière. Le point sur les principales situations à risque et leurs conséquences, notamment pour les employeurs.

 L’unicité du motif de recours au contrat de tra­vail à durée déterminée (CDD) est la règle de base et ne souffre d’aucune excep­tion. La mention de deux motifs de recours est donc à proscrire (par exemple, remplacement de Madame Y, aide-soignante, en arrêt maladie du 1er mai au 30 mai 2017 et remplacement de Mon­sieur Z, aide-soignant, en congés payés du 1er juin au 30 juin 2017). Il en va de même pour un CDD mentionnant deux motifs de recours, à temps partiel, sur une même période temporelle (par exemple, remplacement partiel de Madame T, aide-soignante, en arrêt maladie du 1er mai au 30 mai 2017 et remplacement partiel de Monsieur M, aide-soignant, en congés payés du 1er mai au 30 mai 2017).

Pour contourner cette règle et faire face aux contraintes de recrutement, la structure s’aven­ture souvent vers la conclusion de plusieurs CDD distincts à temps partiel sur une même période temporelle avec le même salarié. Cette pratique, largement répan­due dans le secteur, n’est pourtant pas sans risque, au premier rang duquel se trouve la possible requalification de ce séquençage artificiel de la relation en un seul contrat de travail.

Succession de CDD et séquençage de l’arrêt maladie

La législation a fixé un garde-fou à destination de l’employeur pour éviter que le recours aux CDD ne devienne structurel : le délai de carence. Ainsi, un nou­veau CDD sur le même poste (avec le même salarié ou un autre) ne peut être conclu qu’après un délai de carence égal :

  • au tiers de la durée du CDD expiré, renouvellement inclus, si celui-ci est de 14 jours ou plus ;
  • ou à la moitié de la durée du contrat expiré, renouvellement inclus, si elle est inférieure à 14 jours.

Le délai de carence n’est pas applicable lorsque le CDD est signé pour assurer le remplace­ment d’un salarié temporairement absent ou dont le contrat de tra­vail est suspendu, en cas de nou­velle absence du salarié remplacé. Cette exception est d’interpréta­tion stricte, il n’est pas possible de séquencer un même arrêt de travail en plusieurs contrats tout en profitant de la souplesse fixée par l’article L1244-4 du Code du travail (hors hypothèse de renouvellement).

Rappelons également que le motif de recours lié au remplace­ment d’un salarié absent concerne non seulement une absence justi­fiée (congés payés, arrêt maladie, formation, etc.) mais aussi une éventuelle absence injustifiée ou encore liée à une mise à pied disciplinaire.

Requalification et période interstitielle

La principale sanction encou­rue en cas de gestion défaillante du CDD consiste dans la requalifica­tion de la relation contractuelle à durée indéterminée. Or, il n’est pas rare que le salarié formule une demande de rappel de salaire au titre des périodes dites intersti­tielles ou encore « inter contrats ». D’après la Cour de cassation, « le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de tra­vail est requalifié en un contrat à durée indéterminée (CDI), ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il s’est tenu à la disposition de l’em­ployeur pendant ces périodes pour effectuer un travail » [1].

Par ailleurs, toujours selon la Cour, la perception d’indemnités de chômage n’exclut pas à elle seule que le salarié ne se tienne pas à la disposition de l’em­ployeur [2]. En cas de requalifi-cation en CDI, l’employeur condamné à payer un rappel de salaire au titre des périodes inters­titielles ne peut pas déduire des sommes dues le montant des indemnités perçues de Pôle Emploi par le salarié [3].

La saisine en référé : nouvelle stratégie des salariés en CDD ?

La Cour de cassation a admis très récemment [4] que lorsqu’un salarié a introduit une demande de requalification, le juge des réfé­rés peut ordonner la continuité du contrat au-delà de son terme ini­tial, en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond. Autrement dit, par cette décision, la Cour de cassation donne un effet utile à la requalification du CDD en CDI. En effet, si le salarié a quitté la structure, la requalification en CDI n’aura aucun effet sur l’effec­tivité de la rupture du contrat de travail, sans aucune possibilité de réintégration. La combinaison « procédure au fond et référé » pourrait connaître un développe­ment important dans les pro­chains mois avec une vraie ques­tion : quel statut pour le salarié ayant obtenu la poursuite de la relation contractuelle au-delà du terme et dans l’attente de la déci­sion au fond ?

Formalisme du CDD et promesse d’embauche

La Cour de cassation juge que le formalisme du contrat à durée déterminée ne s’applique pas à la promesse d’embauche [5]. Autre­ment dit, cette promesse n’a pas à comporter les mentions obliga­toires, telles que la date du terme ou la durée minimale, le nom et la qualification de la personne éven­tuellement remplacée. Toutefois, il est évident que le CDD « inté­gral » devra toujours être remis au salarié dans le délai deux jours ouvrables suivant l’embauche.

Reste enfin la dernière règle, quel que soit son motif, le CDD ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Dans un secteur où la stabilité des équipes dans l’accueil et l’accom­pagnement des personnes est un facteur déterminant de la réussite des projets d’établissement et stratégique, l’absence de renouvel­lement du personnel en CDD constitue le véritable sujet de fond.

Gare aux sanctions pénales

Les manquements aux dispositions légales relatives au contrat de travail à durée déterminée (CDD) sont tous sanctionnés par le Code du travail par une amende de 3 750 euros qui, en cas de récidive, sera portée à 7 500 euros ainsi qu’une peine d’emprisonnement de six mois. Rares sont les salariés qui engagent une procédure pénale à l’encontre de leur employeur en plus de celle initiée devant le conseil de prud’hommes. Il en va tout différemment des services de l’inspection du travail qui n’hésitent pas à instruire ce type de dossier et dresser un procès-verbal à destination du procureur de la République. Rappelons enfin qu’une organisation syndicale serait recevable à intervenir volontairement à l’instance introduite par un salarié afin d’obtenir des dommages et intérêts au nom de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession en cas de violation des dispositions légales relatives au CDD.

Stéphane Picard,
Picard avocats

[1] Cass. soc. n° 09-42.344 du 22 septembre 2010 ; Cass. soc. n° 09-40.160 du 30 novembre 2010
[2] Cass. soc. n° 11-22.646 du 25 juin 2013
[3] Cass. soc. n° 15-11.396 du 16 mars 2016
[4] Cass. soc. n° 15-18.560 du 8 mars 2017
[5] Cass. soc. n° 15-11.138 du 6 juillet 2016

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Appliquer plusieurs conventions collectives

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 147 de novembre 2016

Marotte du juriste et angoisse des ressources humaines, l’application combinée de plusieurs conventions collectives au sein d’une organisation même gestionnaire est un marqueur fort du secteur social et médico-social. Cette situation, trop souvent subie, peut s’avérer particulièrement problématique si la situation n’est pas maîtrisée.

Les deux principales conventions collectives nationales (CCN) du secteur social et médicosocial – celles du 15 mars 1966 et du 31 octobre 1951 – ne sont pas étendues. Sauf adhésion à une organisation syndicale signataire du texte conventionnel ou application volontaire, la personne morale gestionnaire n’a aucune obligation d’en mettre en œuvre une en particulier. Un choix est donc possible, d’autant plus que les champs qu’elles couvrent sont très proches. Enfin, lorsque l’application n’est pas « suggérée » par l’autorité de contrôle et de tarification, celle de l’une ou l’autre des deux conventions (hors personne morale ayant des activités purement sanitaires) relève d’un choix en opportunité, rarement maitrisé.

Cette porosité du tissu conventionnel s’oppose à la rigueur de la Cour de cassation sur l’unicité du statut en la matière. Or, la recherche de la taille critique, le mouvement de concentration ou le développement d’activités secondaires ont eu pour effet d’intensifier l’insécurité juridique issue de ce cadre conventionnel perméable.

L’inflexibilité de la Cour de cassation

Le Code du travail [1] dispose que la convention collective qui couvre les salariés est celle dont relève l’activité principale exercée par l’employeur. La Cour de cassation estime ainsi que l’existence d’activités secondaires ou accessoires importe peu sur la détermination de la CCN applicable.

La Cour a dégagé quelques critères permettant d’établir l’activité principale et donc la CCN, comme le chiffre d’affaires réalisé ou le nombre de salariés affectés à telle ou telle activité pour le secteur marchand. Le critère du chiffre d’affaires n’est pas applicable au secteur social et médicosocial.

Celui du budget pourrait y être substitué. Toutefois, à l’heure de la généralisation des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM), ce critère perd de sa pertinence. Celui du poids des effectifs n’est pas plus judicieux dès l’instant où certaines activités peuvent être « consommatrices » d’effectifs sans pour autant être qualifiées de principales. Le nombre de bénéficiaires et d’usagers accueillis par dispositifs pourrait être utilement retenu pour établir l’activité principale.

Le centre d’activité autonome…

La seule dérogation admise par la Cour de cassation réside dans le concept de centre d’activité autonome ayant une activité nettement différenciée. La définition de ce terme a longtemps été figée : lieu distinct et distant des autres activités de l’entreprise bénéficiant d’un personnel et de matériel qui lui sont propres. Toutefois, par un arrêt récent, la Cour de cassation [2] a ajouté aux critères classiques et cumulatifs celui du partage du pouvoir de décision, qui laisse à l’employeur une marge de manoeuvre importante dans la détermination du centre d’activité autonome. En effet, le périmètre de la délégation de pouvoir accordée au directeur de pôle ou de l’unité relève d’une décision de la direction générale. De même, la présence d’instances représentatives du personnel (IRP) propres au centre d’activité autonome sera très certainement un corollaire nécessaire de sa caractérisation.

… ayant une activité nettement différenciée

Ce concept est particulièrement complexe à établir pour le champ social et médico-social puisqu’il doit s’agir d’une activité dissociable de celle principale. Or, les activités d’une association multiétablissements participent toutes à un objectif global : l’accompagnement de personnes en difficulté ou inadaptées. Dans cette perspective, la convention collective de 1966 couvre un hôtel restaurant d’une association d’amis et parents d’enfants handicapés, l’activité d’hôtellerie étant « une activité accessoire se rattachant à l’activité principale de création et gestion d’établissements spécialisés » [3].

Une organisation de protection de l’enfance et de l’adolescence serait confrontée à la même problématique si un service d’insertion par l’activité économique (IAE) venait à être développé. Or, à défaut de centre d’activité autonome ayant une activité nettement différenciée, c’est bien la CCN de l’activité principale (généralement la CCN 66) qui devra s’appliquer aux salariés en insertion. Ce qui ne sera pas sans poser quelques difficultés économiques et sociales. À l’inverse, la gestion d’un centre équestre a été considérée comme une activité nettement différenciée pour une association relevant du champ du handicap. Toutefois, en l’espèce, la Cour de cassation [4] a précisé que le salarié, revendiquant le bénéfice de la CCN 66, n’avait pas démontré que l’activité du

centre équestre était essentiellement consacrée à l’accueil de personnes handicapées. Si tel avait été le cas, la position de la Cour aurait certainement été différente.

Face à l’absence de réelle ligne directrice pour le social et médicosocial, plusieurs pistes peuvent être envisagées pour déterminer une activité nettement différenciée :

une activité intervenant sur un secteur marchand concurrentiel;
une activité exclusive et/ou unique ;
une activité à destination d’un public particulier, dissociable des bénéficiaires/usagers principaux.

Un choix délicat à faire…

Confrontée à cette situation, la personne morale gestionnaire ne dispose que de peu d’alternatives : le statu quo, la généralisation d’une convention (selon le critère de l’activité principale), la sécurisation de l’application multiconventionnelle.

Devant les coûts (notamment financiers et sociaux) de la généralisation d’une CCN, le statu quo et son risque de contentieux individuel et collectif est encore trop souvent privilégié.

Une sécurisation de l’organisation

Cette démarche consiste à instaurer des pôles d’activités permettant de démontrer, en cas de contentieux, l’existence d’un ou plusieurs centres d’activités autonomes ayant une activité nettement différenciée. Pour ce faire, non seulement les activités similaires devront être regroupées au sein d’un même pôle ou d’une même unité, mais surtout, ces derniers devront disposer d’un représentant de l’employeur disposant d’un pouvoir décisionnaire significatif et des IRP qui lui sont propres (délégués du personnel – DP, comité d’entreprise – CE, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – CHSCT).

Cette sécurisation revient à faire coïncider l’organisation de l’association avec la définition donnée par la Cour de cassation. Elle peut être réalisée par « touches » successives ou par le biais d’une réorganisation globale avec information et consultation des IRP.

Une sécurisation par un choix politique

La filialisation des activités avec la reconnaissance d’un groupe (ou d’une unité économique et sociale) apparaît également comme une piste de plus en plus privilégiée par les acteurs du secteur.

Toutefois, une telle opération se traduit bien souvent par un mécontentement des salariés concernés par cette disposition, perdant, à terme, le bénéfice des dispositions conventionnelles jusqu’alors appliquées. Les nouveaux leviers offerts par la loi Travail du 8 août 2016 pourraient jouer pleinement comme la nouvelle définition de l’avantage individuel acquis.

Une sécurisation concertée

Une autre possibilité consiste(nonobstant l’absence de centre d’activité autonome ayant une activité nettement différenciée) dans la négociation avec les partenaires sociaux d’un accord collectif venant « sécuriser » l’application d’une ou plusieurs autre(s) convention(s) collective(s). À ce titre, pour les personnes morales concernées, l’obtention de l’agrément prévue par les dispositions de l’article L314-6 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) permettrait de consolider cette sécurisation. Demain, les nouvelles règles de validité des accords collectifs (majoritaire ou approuvé par référendum) issues de la loi Travail, lui apporteront une légitimité. Enfin, depuis l’arrêt du 8 juin 2016 [5], la Cour de cassation estime que les différences de traitement entre catégories professionnelles ou entre des salariés exerçant, au sein d’une même catégorie, des fonctions distinctes, opérées par voie de convention ou d’accord collectifs, sont présumées justifiée.

Une sécurisation statutaire ?

Enfin, il est à noter que les statuts de l’organisation patronale Fehap permettent l’adhésion d’un ou plusieurs établissements et non de la structure « employeur ». Cette possibilité n’a, à notre connaissance, jamais été validée par la Cour de cassation. Toutefois, un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris du 30 mai 2013 [6] confirmé (sans développement particulier) par la Cour de cassation le 15 avril 2015 [7] (décision non publiée) a retenu cette argumentation.

Inversement, la Cour de cassation (décision non publiée) avait rejeté ce même argument le 20 février 2013 [8]. Enfin, il n’est peut-être pas anodin, d’un point de vue pratique et pour expliquer l’origine de la difficulté, de relever que le libellé des deux textes conventionnels fait expressément référence aux « établissements et services », mais pas à l’association ou à la personne morale gestionnaire. Dans l’attente de la prochaine annonce d’une évolution de la CCN 66, il n’est pas impossible que le sujet soit mis sur la table des négociations annuelles obligatoires (NAO) par les partenaires sociaux de l’organisation… L’angoisse du DRH et la marotte du juriste ont encore de beaux jours devant eux.

Gare aux risques !

Les risques d’une application multiconventionnelle non maîtrisée sont principalement de trois ordres : la rupture d’égalité de traitement entre les salariés, à plus forte raison lorsque ceux-ci, exerçant la même prestation de travail, ne relèvent pas de la même CCN, et la demande d’application rétroactive (sur deux ou trois ans) de la CCN correspondant à l’activité principale de la personne morale. Une demande d’application distributive des deux conventions (par catégorie d’avantages selon les plus favorables) pourrait aussi être revendiquée. Enfin, une organisation syndicale pourrait également solliciter une réparation financière au titre du préjudice à l’intérêt collectif de la profession.

Stéphane Picard et Mehdi Gharbi
Picard avocats

[1] Code du travail, art. L2261-2
[2] Cass. Soc. 9 juin 2015 n° 14-12497
[3] Cass. Soc. 25 octobre 1995 n° 92-40217
[4] Cass. Soc. 14 oct. 2009 n° 08-40576
[5] Cass. Soc. 8 juin 2016 n° 15-11445
[6] Cour d’appel de Paris du 30 mai 2013 n° 11-07490
[7] Cass. Soc. 15 avril 2015 n° 13-22148
[8] Cass. Soc. 20 février 2013 n° 11-26010

POINT DE VUE

Pascal Cordier, directeur général de l’association Essor

« Depuis quelques années, l’Essor (association intervenant au niveau national) est engagé dans une stratégie de fusion. En 2012, une opération a failli échouer du fait du surcoût, estimé à 200 000 euros annuels, qu’aurait représenté la reprise sous notre CCN des salariés du pôle médico-social de l’Amicale laïque d’Agen (SAVS, Sessad, IMPro et Esat), avec qui nous avions engagé un processus de transfert d’agréments. Dans un contexte financier plutôt tendu et d’investissement important pour une réhabilitation, il nous a fallu imaginer une autre solution.

Nous avons opté pour une association d’associations, baptisée Échange et coopération. Son objet est de faciliter la mutualisation interassociative. Du gagnant-gagnant : cela a sécurisé les partenaires financiers de l’Amicale, qui nous verse une quote-part de frais de siège social, et cela a permis de maintenir sa dynamique associative locale, sans changement pour les salariés. Depuis, une troisième association a même rejoint Échange et coopération. »