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Contrat de travail : face à la résiliation judiciaire

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 168 d’octobre 2018

La résiliation judiciaire du contrat de travail laisse entre les mains du conseil de prud’hommes le pouvoir de rompre celui-ci. À l’heure du recul général du contentieux prud’homal dû à la rupture conventionnelle, aux formalités de saisine de la juridiction et du plafonnement des indemnités, décryptage de la procédure aux torts de l’employeur, potentielle action « refuge » pour les salariés.

La résiliation judiciaire s’analyse comme une rupture du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur prononcée par un conseil de prud’hommes. La particularité de cette action ? Elle réside dans le maintien du lien contractuel pendant tout le temps de la procédure prud’homale, laquelle peut parfois atteindre plus d’une année. Il n’y a en effet aucun « circuit court », à la différence d’une demande de prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur (audience de jugement théorique dans le délai d’un mois à compter de la saisine). De surcroît, en obtenant gain de cause, l’employeur devra conserver dans ses effectifs un salarié ayant explicitement sollicité par voie judiciaire la rupture du lien contractuel…

La tentation est grande d’écourter cette situation en prononçant, en cours de procédure, un licenciement. Elle devra être impérativement refrénée. En effet, sauf cas de faute grave postérieure à la saisine, un tel licenciement pourrait être jugé comme nul car portant atteinte à la liberté fondamentale dont dispose le salarié de saisir un conseil de prud’hommes. Il faudra donc faire preuve de patience et de stratégie.

Une stratégie globale pour le salarié

La procédure de résiliation judiciaire s’inscrira fréquemment dans la démarche globale suivante :

  1. Le salarié est placé en arrêt de travail pour maladie ;
  2. Concomitamment ou préalablement à l’arrêt : lettre de reproche sur la thématique de la dégradation des conditions de travail et de l’at-teinte à la santé du salarié, le tout en violation de l’obligation de sécurité de l’employeur ;
  3. Saisine du conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire ;
  4. Après un arrêt maladie de quelques mois : déclenchement de la visite médicale de reprise ;
  5. Constat d’inaptitude, éventuellement avec dispense de reclassement (mention expresse dans l’avis du médecin du travail que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclasse-ment dans l’emploi ») ;
  6. Licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;
  7. Poursuite du contentieux prud’homal relatif à l’action en résiliation judiciaire ;
  8. Transaction ? Condamnation de l’employeur ? Déboutement du salarié ?

Miser sur la prévention

Alors, comment se sortir d’une telle situation ? Tout d’abord, il est absolument impératif de mettre en œuvre une démarche de prévention des risques effective et efficace. La Cour de cassation a sensiblement amendé sa position, érigeant la prévention comme un potentiel rempart pour l’employeur contre une condamnation pour manque-ment à l’obligation de sécurité qui lui incombe.

À réception de la lettre du salarié faisant état d’une situation de dégradation de ses conditions de travail, il est impératif, outre l’apport d’une réponse écrite aux éventuels griefs, de fixer une visite avec la médecine du travail, peu importe la durée de l’absence, afin de s’assurer de l’aptitude du salarié. À cette occasion, il conviendra de sensibiliser le médecin du travail sur les actions mises en œuvre au sein de l’organisation au titre de la prévention des risques.

Utiliser le contenu de la requête de saisine

La saisine du conseil des prud’hommes doit dorénavant intégrer l’exposé, certes succinct, des motifs à l’origine de la demande du salarié. Il est donc normalement possible, à ce stade, d’identifier précisément ses griefs. Or, même si la Cour de cassation a connu quelques hésitations sur le sujet, il est certain qu’une « action corrective » avant l’audience de jugement, sera prise en compte par la juridiction. En effet, la Cour estime « qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier les manquements imputés à l’employeur au jour de leur décision » [1], non au jour de la saisine. Autrement dit, si la démarche de prévention n’a pas été mise en place en amont, il est encore possible, pendant le temps de la procédure judiciaire, de « vider de sa substance » l’action engagée par le salarié en régularisant les éventuels manquements.

Contester l’inaptitude ?

À l’évidence, l’inaptitude prononcée par le médecin du travail sera utilisée par le salarié dans le cadre de la procédure contentieuse. Il s’agira même d’une pièce centrale puisque faisant le lien entre la dégradation de l’état de santé jusqu’alors invoquée par le seul salarié (et, le cas échéant, son médecin traitant) et l’avis d’un acteur au fait des conditions de travail au sein de l’organisation.

Ne pas contester l’avis pourrait alors être considéré par la juridiction comme un acquiescement tacite à l’inaptitude du salarié dont les conditions de travail préalablement dénoncées en constitueraient nécessairement la cause. À l’inverse, une contestation devant le conseil de prud’hommes qui, statuant en forme des référés, aboutit à la confirmation de la position du médecin du travail, pourrait s’avérer encore plus épineuse que l’absence de contestation. Un courrier à destination du médecin du travail, reprenant la chronologie des événements et l’instrumentalisation éventuelle de son avis dans le cadre de la phase contentieuse, pourrait formaliser un compromis acceptable.

La rédaction de la lettre de licenciement, faute de reclassement possible, sera nécessaire-ment un exercice périlleux : il conviendra de rappeler que l’inaptitude et la rupture du contrat de travail ne sont pas liées aux conditions de travail du salarié. À ce stade de la procédure, le piège se sera alors presque refermé sur l’employeur, lequel se précipitera sur l’opportunité offerte de mettre fin à la relation contractuelle. Or, la dégradation invoquée par le salarié aura eu la conséquence attendue par ce der-nier : la rupture de son contrat de travail. Toutefois, le maintien du lien contractuel, dans l’attente de la décision des prud’hommes, alors que la reprise du versement du salaire sera impérative un mois après le constat d’inaptitude, semble irréalisable en pratique au regard des délais judiciaires.

Résiliation et licenciement : quelle articulation ?

Si le salarié a fait l’objet d’un licenciement avant que le juge prud’homal se prononce sur la résiliation judiciaire, par exemple pour inaptitude et impossibilité de reclassement, c’est à la date de la notification du licenciement que sera fixée la rupture du contrat de travail, que la demande de résiliation judiciaire soit ou non jugée bien fondée. Ainsi, le licenciement prononcé ne sera pas mis entre parenthèses dans l’attente de la décision du conseil de prud’hommes.

Toutefois, le licenciement ne rend pas caduque la demande de résiliation judiciaire puisque les conseillers prud’homaux devront analyser en premier lieu si les griefs formulés au titre de la résiliation étaient fondés. Dans l’affirmative, il ne sera pas tenu compte des motifs à l’origine du licencie-ment et celui-ci sera considéré sans cause réelle et sérieuse.

À l’inverse, si la résiliation n’est pas justifiée, le salarié pourra évidemment contester son licencie-ment. Cette stratégie permet alors d’avoir deux axes d’attaque : la résiliation et le licenciement qui, en cas d’arrêt maladie, s’il n’est pas fondé sur l’inaptitude du salarié, supportera le risque de la nullité.
Enfin, en cas d’appel du juge-ment prononçant la résiliation judiciaire, cette procédure suspendra la rupture du contrat de travail. Autrement dit, le lien contractuel ne sera rompu qu’une fois la procédure d’appel terminée.

Stéphane Picard,
Avocat associé, Picard avocats

Références :
[1] Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.95100