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Licenciement : nouveaux risques contentieux

Publié dans le magazine Direction[s] n° 193 de janvier 2021.
Disponible en téléchargement PDF à la fin de l’article et consultable sur le site internet de Direction[s].

Instauré en 2017, le barème dit Macron devait permettre aux employeurs d’anticiper les coûts d’un licenciement que le conseil de prud’hommes pourrait juger sans cause réelle et sérieuse. Trois ans plus tard, quels constats dans le contentieux ?

L’anticipation du risque prud’homal et la visibilité sur le coût probable d’une condamnation sont des données importantes pour tout employeur avant de décider de rompre un contrat de travail. Des objectifs au cœur du barème dit Macron, instauré par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. Pourtant, la pratique judiciaire révèle une multiplication des chefs de demande et une tentative quasi systématique de contourner le barème par une action en nullité du licenciement…

Un barème questionné…

L’article L.1235-3 du Code du travail fixe, selon l’ancienneté du salarié et la taille de l’association, des planchers et plafonds applicables pour tout licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. Trois ans après son instauration, le flou est toujours de mise pour les employeurs, la Cour de cassation n’ayant pas encore statué sur le sujet. Évidemment, elle a rendu deux avis en faveur de la conventionnalité du barème le 17 juillet 2019, et plusieurs cours d’appel en font une stricte application

Toutefois, le doute perdure devant de nombreuses juridictions qui l’écartent par des arguments plus ou moins d’opportunité. Il est d’ailleurs cocasse de constater que dans de nombreuses conclusions rédigées par les conseils des salariés, les développements consacrés à la non-application du barème sont plus importants que ceux ayant trait à la contestation du licenciement lui-même… L’année 2021 devrait être celle de la clarification pour la Cour de cassation, même si les instances européennes auront certainement leur mot à dire.

… de plus en plus contourné

Le législateur avait prévu des garde-fous dans la mise en œuvre du barème dit Macron. La loi écarte son application lorsque le juge constate que le licenciement est entaché de l’une des nullités suivantes:

  • violation d’une liberté fondamentale;
  • harcèlement moral ou sexuel;
  • licenciement discriminatoire;
  • licenciement en lien avec l’exercice  d’une action en justice en matière d’égalité professionnelle, ou avec une dénonciation de crimes et délits;
  • licenciement d’un salarié protégé sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’inspection du travail;
  • licenciement pendant une période de protection au titre d’un
  • accident du travail/maladie professionnelle (AT/MP).

À noter. La cause de nullité la plus fréquemment invoquée est celle afférente à une situation de harcèlement moral.

Si la nullité du licenciement est prononcée, les conséquences financières pour l’employeur peuvent être très importantes et plus difficilement anticipées. Outre d’éventuels dommages et intérêts (par exemple, au titre du préjudice moral ou d’un manque- ment à l’obligation de sécurité), le salarié peut demander sa réintégration. Dans ce cas, il peut solliciter une somme forfaitaire correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période écoulée entre son licenciement et sa réintégration. Ce, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé. L’ampleur du risque pour l’employeur est fonction des délais procéduraux,
actuellement de plusieurs années pour nombre de juridictions prud’homales…

À noter. Les rémunérations et revenus de remplacement perçus par le salarié au cours de la période concernée doivent être déduits de cette indemnisation forfaitaire, sauf si la cause de la nullité est la violation d’une liberté fondamentale. Par ailleurs, cette somme forfaitaire brute est assujettie à cotisations sociales.

En l’absence de demande de réintégration, le salarié peut solli- citer une indemnité pour licencie- ment nul, dont le montant est sou- verainement apprécié par les juges du fond dès lors qu’il est au moins égal aux salaires des six derniers mois, étant rappelé qu’il appartient au salarié de justifier de l’étendue de son préjudice.

En pratique, et compte tenu des enjeux indemnitaires, la demande de nullité du licenciement devient presque systématique devant le juge prud’homal. La demande de licenciement sans cause réelle et sérieuse – et ainsi la question de l’application du barème – lui étant alors nécessairement subsidiaire. Couplée à la tentative de multiplication des chefs de préjudice, l’évaluation du risque devient un jeu d’équilibriste…

N’oubliez pas l’indemnité conventionnelle !

Le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement déjà perçue par le salarié peut être pris en compte dans l’appréciation des dommages et intérêts à lui allouer en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Une possibilité très peu fréquemment utilisée et qu’il est intéressant de soulever devant le conseil de prud’hommes, notamment pour les employeurs relevant de la convention collective nationale de 1966 (CCN 66) et des accords CHRS (pour centres d’hébergement et de réinsertion sociale), où cette indemnité conventionnelle est plus avantageuse que l’indemnité légale de licenciement.

Stéphane Picard,
Avocat associé

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Contrat de travail : face à la résiliation judiciaire

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 168 d’octobre 2018

La résiliation judiciaire du contrat de travail laisse entre les mains du conseil de prud’hommes le pouvoir de rompre celui-ci. À l’heure du recul général du contentieux prud’homal dû à la rupture conventionnelle, aux formalités de saisine de la juridiction et du plafonnement des indemnités, décryptage de la procédure aux torts de l’employeur, potentielle action « refuge » pour les salariés.

La résiliation judiciaire s’analyse comme une rupture du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur prononcée par un conseil de prud’hommes. La particularité de cette action ? Elle réside dans le maintien du lien contractuel pendant tout le temps de la procédure prud’homale, laquelle peut parfois atteindre plus d’une année. Il n’y a en effet aucun « circuit court », à la différence d’une demande de prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur (audience de jugement théorique dans le délai d’un mois à compter de la saisine). De surcroît, en obtenant gain de cause, l’employeur devra conserver dans ses effectifs un salarié ayant explicitement sollicité par voie judiciaire la rupture du lien contractuel…

La tentation est grande d’écourter cette situation en prononçant, en cours de procédure, un licenciement. Elle devra être impérativement refrénée. En effet, sauf cas de faute grave postérieure à la saisine, un tel licenciement pourrait être jugé comme nul car portant atteinte à la liberté fondamentale dont dispose le salarié de saisir un conseil de prud’hommes. Il faudra donc faire preuve de patience et de stratégie.

Une stratégie globale pour le salarié

La procédure de résiliation judiciaire s’inscrira fréquemment dans la démarche globale suivante :

  1. Le salarié est placé en arrêt de travail pour maladie ;
  2. Concomitamment ou préalablement à l’arrêt : lettre de reproche sur la thématique de la dégradation des conditions de travail et de l’at-teinte à la santé du salarié, le tout en violation de l’obligation de sécurité de l’employeur ;
  3. Saisine du conseil de prud’hommes en résiliation judiciaire ;
  4. Après un arrêt maladie de quelques mois : déclenchement de la visite médicale de reprise ;
  5. Constat d’inaptitude, éventuellement avec dispense de reclassement (mention expresse dans l’avis du médecin du travail que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclasse-ment dans l’emploi ») ;
  6. Licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ;
  7. Poursuite du contentieux prud’homal relatif à l’action en résiliation judiciaire ;
  8. Transaction ? Condamnation de l’employeur ? Déboutement du salarié ?

Miser sur la prévention

Alors, comment se sortir d’une telle situation ? Tout d’abord, il est absolument impératif de mettre en œuvre une démarche de prévention des risques effective et efficace. La Cour de cassation a sensiblement amendé sa position, érigeant la prévention comme un potentiel rempart pour l’employeur contre une condamnation pour manque-ment à l’obligation de sécurité qui lui incombe.

À réception de la lettre du salarié faisant état d’une situation de dégradation de ses conditions de travail, il est impératif, outre l’apport d’une réponse écrite aux éventuels griefs, de fixer une visite avec la médecine du travail, peu importe la durée de l’absence, afin de s’assurer de l’aptitude du salarié. À cette occasion, il conviendra de sensibiliser le médecin du travail sur les actions mises en œuvre au sein de l’organisation au titre de la prévention des risques.

Utiliser le contenu de la requête de saisine

La saisine du conseil des prud’hommes doit dorénavant intégrer l’exposé, certes succinct, des motifs à l’origine de la demande du salarié. Il est donc normalement possible, à ce stade, d’identifier précisément ses griefs. Or, même si la Cour de cassation a connu quelques hésitations sur le sujet, il est certain qu’une « action corrective » avant l’audience de jugement, sera prise en compte par la juridiction. En effet, la Cour estime « qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier les manquements imputés à l’employeur au jour de leur décision » [1], non au jour de la saisine. Autrement dit, si la démarche de prévention n’a pas été mise en place en amont, il est encore possible, pendant le temps de la procédure judiciaire, de « vider de sa substance » l’action engagée par le salarié en régularisant les éventuels manquements.

Contester l’inaptitude ?

À l’évidence, l’inaptitude prononcée par le médecin du travail sera utilisée par le salarié dans le cadre de la procédure contentieuse. Il s’agira même d’une pièce centrale puisque faisant le lien entre la dégradation de l’état de santé jusqu’alors invoquée par le seul salarié (et, le cas échéant, son médecin traitant) et l’avis d’un acteur au fait des conditions de travail au sein de l’organisation.

Ne pas contester l’avis pourrait alors être considéré par la juridiction comme un acquiescement tacite à l’inaptitude du salarié dont les conditions de travail préalablement dénoncées en constitueraient nécessairement la cause. À l’inverse, une contestation devant le conseil de prud’hommes qui, statuant en forme des référés, aboutit à la confirmation de la position du médecin du travail, pourrait s’avérer encore plus épineuse que l’absence de contestation. Un courrier à destination du médecin du travail, reprenant la chronologie des événements et l’instrumentalisation éventuelle de son avis dans le cadre de la phase contentieuse, pourrait formaliser un compromis acceptable.

La rédaction de la lettre de licenciement, faute de reclassement possible, sera nécessaire-ment un exercice périlleux : il conviendra de rappeler que l’inaptitude et la rupture du contrat de travail ne sont pas liées aux conditions de travail du salarié. À ce stade de la procédure, le piège se sera alors presque refermé sur l’employeur, lequel se précipitera sur l’opportunité offerte de mettre fin à la relation contractuelle. Or, la dégradation invoquée par le salarié aura eu la conséquence attendue par ce der-nier : la rupture de son contrat de travail. Toutefois, le maintien du lien contractuel, dans l’attente de la décision des prud’hommes, alors que la reprise du versement du salaire sera impérative un mois après le constat d’inaptitude, semble irréalisable en pratique au regard des délais judiciaires.

Résiliation et licenciement : quelle articulation ?

Si le salarié a fait l’objet d’un licenciement avant que le juge prud’homal se prononce sur la résiliation judiciaire, par exemple pour inaptitude et impossibilité de reclassement, c’est à la date de la notification du licenciement que sera fixée la rupture du contrat de travail, que la demande de résiliation judiciaire soit ou non jugée bien fondée. Ainsi, le licenciement prononcé ne sera pas mis entre parenthèses dans l’attente de la décision du conseil de prud’hommes.

Toutefois, le licenciement ne rend pas caduque la demande de résiliation judiciaire puisque les conseillers prud’homaux devront analyser en premier lieu si les griefs formulés au titre de la résiliation étaient fondés. Dans l’affirmative, il ne sera pas tenu compte des motifs à l’origine du licencie-ment et celui-ci sera considéré sans cause réelle et sérieuse.

À l’inverse, si la résiliation n’est pas justifiée, le salarié pourra évidemment contester son licencie-ment. Cette stratégie permet alors d’avoir deux axes d’attaque : la résiliation et le licenciement qui, en cas d’arrêt maladie, s’il n’est pas fondé sur l’inaptitude du salarié, supportera le risque de la nullité.
Enfin, en cas d’appel du juge-ment prononçant la résiliation judiciaire, cette procédure suspendra la rupture du contrat de travail. Autrement dit, le lien contractuel ne sera rompu qu’une fois la procédure d’appel terminée.

Stéphane Picard,
Avocat associé, Picard avocats

Références :
[1] Cass. soc., 29 janvier 2014, n° 12-24.95100