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L’accord de performance collective : une opportunité ?

Article publié dans le magazine Direction[s] n° 171 de janvier 2019

L’accord de performance collective (APC) doit répondre aux nécessités de fonctionnement de la structure, ou permettre de préserver, voire de développer l’emploi. Ses dispositions, qui peuvent être moins favorables que le contrat de travail, s’imposent aux salariés. Explications de ce nouveau levier de flexibilité offert aux partenaires sociaux locaux.

Créé par les ordonnances dites « Macron », l’accord de performance collective (APC) a remplacé les accords de maintien de l’emploi (AME), de préservation ou de développement de l’emploi (APDE) et de mobilité interne (AMI). Qualifié de dérogatoire, il peut prévoir des dispositions contraires au contrat de travail s’imposant au salarié, tout refus l’exposant à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Quelles modalités de négociation ?

L’APC est un accord collectif de droit commun : pour être valable, il doit recueillir la signature d’une ou plusieurs organisations syndicales ayant obtenu plus de 50 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles [1]. La voie de l’accord minoritaire validé par référendum est également ouverte, tout comme celle de la négociation avec des élus manda-tés ou non. Faute de dispositions contraires, l’APC peut être négocié au niveau de l’association comme de l’établissement [2], et concerner tout ou partie du personnel.

Par ailleurs, afin de ne pas brider les négociations, le législateur a souhaité faire de l’APC un accord discret en l’excluant de l’obligation de publication sur la base de données nationale [3].

Quels sujets de négociation possibles ?

Si la notion de « performance collective » n’est pas définie, l’accord doit nécessairement avoir pour finalité de « répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise », ou de « préserver ou développer l’emploi ». Ces objectifs peuvent donc englober de très nombreuses situations [4] : en théorie, toute décision en matière de gestion ou d’organisation est nécessaire au bon fonctionnement d’une structure. Il conviendra donc d’être attentif à l’appréhension qu’en fera la jurisprudence. En tout état de cause, la conclusion d’un tel accord n’est pas subordonnée à l’existence de difficultés économiques.

Pour répondre aux objectifs ainsi fixés, l’accord peut :

  • Aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition ;
  • Réviser la rémunération, dans le respect des salaires minima hiérarchiques (à ce jour, seule la convention collective nationale du 15 mars 1966 – CCN 66 [5] a précisé les éléments de rémunération concernés au titre de l’article L2253-1 du Code du travail) ;
  • Déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

Autant de matières qui nécessitent, en temps normal, l’accord du salarié en cas de modification de son contrat de travail, notamment pour ceux à temps partiel lors de la mise en place d’un aménagement du temps de travail sur plusieurs semaines.

En pratique, la négociation d’un APC est un jeu d’équilibriste pour les partenaires sociaux : si l’accord permet de « forcer » les contrats de travail au regard des matières susvisées, il peut également contenir des dispositions plus favorables au bénéfice des salariés relevant de son champ d’application, en particulier afin de compenser leur « effort » : octroi d’une prime ou de repos supplémentaires par exemple. Rappelons que la jurisprudence considère désormais que la différence de traitement résultant d’un accord collectif est présumée justifiée, à charge pour le salarié qui s’estime lésé d’en apporter la preuve contraire [6].

Par ailleurs, rien ne semble s’opposer à ce que l’APC comprenne toute autre disposition ouverte à la négociation d’entreprise, même sans lien direct avec les efforts demandés aux salariés, comme des dispositions relatives au télé-travail ou aux congés.

Quel contenu ?

La seule obligation est que l’accord contienne un préambule définissant les objectifs poursuivis [7]. L’enjeu de sa rédaction est de taille. En effet, le Conseil constitutionnel a précisé que « la pertinence des motifs ayant justifié l’accord peut être contestée devant le juge » [8], ce qui pourrait être un levier de contestation important pour le salarié licencié après avoir refusé l’application de l’accord. Il est donc fondamental d’étayer le préambule avec les motifs et le contexte précis ayant abouti à la conclusion de l’accord, le but étant de limiter les risques de litiges liés à l’interprétation de la conformité de la volonté des partenaires sociaux au regard des dispositions légales.

Par ailleurs, dès lors que l’APC met en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine, toutes les règles afférentes à ce mode d’organisation doivent être strictement respectées. Il en va de même en cas de mise en œuvre d’un dispositif de forfait annuel en jours (lire l’encadré).

Du reste, le contenu de l’APC est laissé à la main des partenaires sociaux. L’accord peut notamment contenir « les modalités selon lesquelles sont conciliées la vie professionnelle et la vie personnelle et familiale des salariés », ou encore celles « d’accompagnement des salariés refusant l’application de l’accord », mais ces clauses ne sont pas obligatoires et sont sans incidence sur la validité de l’accord.

Enfin, comme tout accord collectif, l’APC doit prévoir ses modalités de suivi, de renouvellement ou de révision et de dénonciation [9].

Mise en oeuvre de l’accord

Informer les salariés. Le législateur impose à l’employeur d’informer les salariés de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’eux d’accepter ou de refuser son application à leur contrat de travail, par tous moyens conférant date certaine et précise [10]. Cette communication faisant courir le délai d’un mois imparti au salarié pour refuser l’application de l’accord, il convient de procéder par courrier recommandé avec avis de réception ou remis en main propre contre récépissé. A minima, il est essentiel que les salariés soient informés du motif du recours à l’APC, du lieu où le salarié peut consulter le texte dans son intégralité, des conséquences de l’accord sur le contrat de travail, du droit d’accepter ou de refuser l’application de l’accord, ainsi que des répercussions en cas de refus.

Salariés acceptant l’application de l’accord. Le texte prévoit que « les stipulations de l’accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise » [11]. Cette formulation soulève de nombreuses questions. Par exemple, en cas de dénonciation ou de mise en cause de l’accord, les clauses figurant au contrat de travail auront-elles vocation à reprendre leur cours antérieur ? Ou la modification du contrat résultant de l’application de l’accord est-elle devenue définitive, indépendamment de la durée d’application de l’accord ? L’analyse à venir de la jurisprudence sera donc essentielle sur ce point.

Salariés refusant l’application de l’accord. Le salarié peut notifier son refus à l’employeur dans un délai d’un mois à compter de la date à laquelle il a été informé de l’existence et du contenu de l’accord. Cette notification fait courir le point de départ du délai de deux mois pendant lequel l’employeur peut engager une procédure de licenciement pour un motif sui generis, qui est préqualifié par le texte de cause réelle et sérieuse.
La procédure est celle du licenciement pour motif personnel. Ainsi sont applicables les règles relatives à l’entretien préalable, à la notification du licenciement, au préavis et à l’indemnité de préavis, à celle de licenciement et aux documents de fin de contrat. Le salarié licencié peut s’inscrire à Pôle Emploi et être indemnisé dans les règles de droit commun. L’employeur est aussi tenu d’abonder son compte personnel de formation (CPF) d’un minimum de 100 heures financées à hauteur de 30 euros par heure.

Le texte n’apporte aucune précision lorsque l’application de l’accord est refusée par un salarié protégé. Néanmoins, la protection exceptionnelle s’applique à tous les cas de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur [12]. Or, même pour un motif sui generis lié au refus du salarié de se voir appliquer l’accord, la rupture, qualifiée de licenciement, demeure à l’initiative de l’employeur. Ce dernier devrait donc nécessairement recueillir l’autorisation administrative avant de licencier le salarié.

Combiné à la nouvelle hiérarchie des normes laissant une large primauté à la négociation locale, l’APC pourrait être, dans un contexte de tension budgétaire et d’interrogation à l’égard du contenu des conventions collectives, un nouvel outil au service de la pérennité des structures et du développement de leurs activités.

L’APC peut-il imposer un forfait annuel ?

L’accord, qui peut « aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition », peut prévoir la mise en place d’un dispositif de forfait annuel en jours. Néanmoins, la loi de ratification des ordonnances dites « Macron » a précisé que si l’APC met en place un tel dispositif, l’ensemble des dispositions consacrées à ce mode d’organisation du travail s’appliquent. En pratique, l’accord du salarié est donc toujours requis et une convention individuelle de forfait doit être établie par écrit. En revanche, lorsque l’APC modifie un dispositif déjà existant (par exemple, le nombre de jours au forfait), le salarié ayant déjà conclu une convention individuelle se voit imposer la modification, sauf à refuser l’application de l’accord et s’exposer à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Quel impact pour les salariés en CDD ?

Le texte est entièrement muet à l’égard des salariés en contrat à durée déterminée (CDD). S’ils sont libres d’accepter l’application de l’accord, leur contrat ne devrait pas pouvoir être rompu en cas de refus. En effet, l’article L2252-4 du Code du travail qualifie la rupture de
« licenciement » et ne se réfère pas aux textes relatifs à la rupture anticipée du CDD. Or, les dispositions régissant la résiliation des CDD sont d’ordre public et les cas de rupture anticipée sont strictement limitatifs (Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-40.447 ; Circulaire DRT n° 90/18, 30 octobre 1990, § 2.4.1).

Cécile Noël,
Juriste, Picard avocats

Références :
[1] Code du travail, article L2232-12
[2] Code du travail, article L2232-11, alinea 2
[3] Code du travail, article L2231-5-1, alinea 4
[4] Code du travail, article L2254-2, I
[5] Avenant à la CCN 66 n° 346 du 20 juillet 2018, agréé par arrêté du 26 octobre 2018
[6] Cass. soc., 4 octobre 2017, n° 16-17.517
[7] Code du travail, article L2254-2, II
[8] Décision du Conseil constitu- tionnel n° 2018-761 du 21 mars 2018
[9] Code du travail, article L2222-1 et suivants
[10] Code du travail, article L2254-2, IV
[11] Code du travail, article L2254-2, III
[12] Conseil d’État, 6 juin 2018, n° 391860