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Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, activité partielle et télétravail : précisions administratives 

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Note aux lecteurs : cet article est à jour au 18 avril 2020, date de sa publication.

Si le journal officiel du 17 avril a apporté son lot de nouveautés réglementaires en matière d’activité partielle et de versement de l’indemnité complémentaire de l’employeur en cas d’arrêt de travail, cette journée a également été riche en précisions de l’Administration. Décryptage des apports en matière de prime exceptionnelle, d’activité partielle et de télétravail.

  1. Prime exceptionnelle de pouvoir d’achat

Le 2 avril 2020, était publiée l’ordonnance n° 2020-385 modifiant la date limite et les conditions de versement de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat. Deux semaines plus tard, le Ministère du Travail diffuse sur son site internet une « foire aux questions » apportant des précisions sur la mise en oeuvre de ces nouveautés. Sélection des apports les plus significatifs, et parfois des plus surprenants !

  • Critère des « conditions de travail liées à l’épidémie de Covid-19 »

Le Ministère précise que ce critère permet, outre la modulation du montant de la prime, d’exclure purement et simplement des salariés de son versement (points 1.5 et 2.6).

Or, l’article 7 de la LFSS pour 2020, tel que modifié par l’Ordonnance du 1er avril, précise que la prime « peut être attribuée par l’employeur à l’ensemble des salariés et des agents qu’il emploie ou à ceux dont la rémunération est inférieure à un plafond. » Le seul critère permettant d’exclure des salariés du bénéfice de la prime est donc celui du plafond de rémunération, ce que rappelle l’instruction n° DSS/5B/2020/11 du 15 janvier 2020 (point 1.5). 

Au sein des dispositions légales, le critère des conditions de travail liées au Covid-19 figure seulement parmi les critères de modulation du montant de la prime, au même titre que le niveau de classification ou la durée de présence effective pendant l’année écoulée par exemple.

⚠️Il convient donc d’adopter la plus grande prudence face à cette interprétation très extensive – voire contra legem – du Ministère. En effet, à supposer que ces précisions puissent être opposables à l’URSSAF en cas de contrôle, tel ne sera en tout état de cause pas le cas à l’égard des juridictions. Ainsi, des salariés ayant été exclus du bénéfice de la prime seraient susceptibles de pouvoir solliciter, par voie contentieuse, le versement de celle-ci (et le cas échéant de son montant intégral).

À notre sens et par conséquent, il reste préconisé, quels que soient les critères de modulation retenus, de prévoir un montant « plancher » même relativement faible de versement de la PEPA.

  • Date d’appréciation du champ des bénéficiaires

L’ordonnance du 1er avril a précisé que la prime bénéficie aux salariés liés à l’entreprise par un contrat de travail à la date de versement de cette prime ou à la date de dépôt de l’accord collectif ou de la signature de la décision unilatérale.

Le Ministère précise que ces dates sont alternatives et que l’accord ou la décision unilatérale doit préciser quelle date d’appréciation de la présence des salariés est retenue parmi ces options (point 1.7).

  • Absences, temps de présence effective et prime égale à zéro

Le critère de modulation du montant de la prime afférent à la « durée de présence effective pendant l’année écoulée » existe depuis l’entrée en vigueur de la LFSS pour 2020. Ce critère permet d’opérer un abattement sur le montant de la prime en cas d’absence du salarié, quelle qu’en soit sa nature. Cela vise notamment les absences pour maladie, y compris en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle (voir en ce sens concernant des primés liées à la présence effective : Cass. soc., 21 novembre 2012, n° 11-12.126 ; Cass. soc., 17 octobre 2007, n° 06-40.311).

Toutefois, même après l’entrée en vigueur de l’ordonnance, l’article 7 de la LFSS mentionne encore très expressément, juste après l’énumération des critères de modulation, que pour le versement de la prime, les absences relatives à la parentalité sont assimilées à des périodes de présence effective (congé de maternité, de paternité, d’accueil ou adoption, congé parental d’éducation, pour enfant malade, pour présence parentale). En conséquence, ces congés ne peuvent entraîner aucune proratisation de la prime.

Pourtant, le Ministère indique désormais que « la prime des salariés absents du fait de l’un de ces congés ne peut être réduite à raison de cette absence, sauf dans les cas où la prime est modulée en application des points 2.5, 2.6 et 2.11», c’est-à-dire soit en cas d’application du critère des conditions de travail liées au Covid-19, soit lorsque l’application des critères de modulation conduit à une prime égale à zéro. 

Or, l’instruction du 15 janvier 2020 précise en sens totalement inverse que « La loi prévoit expressément que la prime exceptionnelle doit être versée à l’ensemble des salariés éligibles. Il en résulte que, dès lors que la modulation aurait pour conséquence de priver certains salariés de cette prime, la condition de versement à l’ensemble des salariés ne serait pas remplie. Il appartient à l’employeur de veiller à fixer un plancher minimal de versement, quel que soit le critère retenu » (point 3.7) !

⚠️Là encore, la prudence est de mise face à ces nouvelles précisions ministérielles qui ne sauraient, en cas de contentieux, avoir une quelconque valeur juridique à l’égard du juge.

  • Avances et versement échelonné de la prime

Le Ministère du Travail précise (points 5.1 à 5.4) que :

  • La prime peut faire l’objet d’avances selon les règles de droit commun applicables à toute forme de rémunération ;
  • L’accord ou la DUE instituant la prime peut prévoir un versement en plusieurs échéances, sans aller au-delà du 31 août 2020 ;
  • Lorsque la prime est versée en plusieurs échéances, ses critères d’attribution ne peuvent pas être définis différemment pour chacune de ces échéances. En revanche, les entreprises ayant déjà versé une prime exceptionnelle avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er avril « pourront compléter leur versement initial par un avenant à la convention ou à la DUE », lequel « pourra retenir des critères d’attribution de la prime différents pour ce deuxième versement ».
  1. Activité partielle
  • Une ordonnance planifiée en vue de l’individualisation de l’activité partielle

À ce jour et comme nous l’expliquions dans un précédent flash info, le dispositif d’activité partielle revêt en principe un caractère collectif.

Or, une ordonnance serait en cours d’élaboration afin de permettre une individualisation des demandes d’activité partielle, notamment en vue d’adapter l’activité à un déconfinement progressif.

Cette nouvelle possibilité serait toutefois encadrée par des garde-fous : l’individualisation serait soumise soit à un accord collectif, soit à une décision unilatérale de l’employeur après avis conforme du CSE (ce qui signifie, contrairement à un avis « classique », qu’il s’impose à l’employeur).

Rappelons que la « foire aux questions » diffusée par le Ministère des Solidarités et de la Santé à l’attention des ESSMS PA/PH s’est quelque peu avancée sur le sujet, précisant qu’une allocation d’activité partielle pouvait être demandée pour « un salarié » se trouvant dans l’impossibilité de travailler, notamment en cas « d’impossibilité de mettre en place les mesures de prévention nécessaires pour la protection de la santé des salariés (télétravail, gestes barrière…) ».

  • De l’arrêt de travail dérogatoire à l’activité partielle

Un amendement au projet de loi de finances rectificatif prévoit de faire basculer, au 1er mai 2020, les salariés qui bénéficient d’un arrêt de travail soit en tant que personnes vulnérables, soit pour garde d’enfants, vers le dispositif d’activité partielle.

Le gouvernement précise :

« Jusqu’au 30 avril, ces salariés seront indemnisés par leur employeur, en complément des indemnités journalières de sécurité sociale, à hauteur de 90% de leur salaire, quelle que soit leur ancienneté.

Ces dispositions sont rétroactives et s’appliquent aux jours d’absence intervenus depuis le 12 mars.

A partir du 1er mai, les salariés en arrêt de travail pour ces motifs seront placés en activité partielle et percevront une indemnité à hauteur de 70% du salaire brut, soit environ 84% du salaire net. Ces montants seront portés à 100 % du salaire pour les salariés rémunérés au niveau du SMIC. Cette indemnité sera versée au salarié à l’échéance normale de paie par l’entreprise, qui se fera intégralement rembourser par l’Etat dans les mêmes conditions que le reste de l’activité partielle.

Cette mesure permet d’éviter une réduction de l’indemnisation des personnes concernées : sans cette mesure, le niveau d’indemnisation des salariés aurait diminué pour atteindre 66% du salaire après 30 jours d’arrêt pour les salariés justifiant d’une ancienneté inférieure à 5 ans, par exemple. »

  1. Télétravail

Le 17 avril, le Ministère du Travail a diffusé un nouveau « questions-réponses » sur le télétravail durant le contexte épidémique, précisant :

« – L’employeur doit-il verser l’indemnité d’occupation du domicile prévue par la jurisprudence quand l’employeur ne met pas à la disposition du salarié d’autres locaux pour travailler (télétravail à la demande de l’employeur) ? (OEC)

Dans le contexte de crise sanitaire actuel – le télétravail s’effectuant, dans la majorité des cas, sur la totalité de la durée de travail effectif et étant rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise, pour garantir la protection des salariés et pour des raisons de santé publique – il y a lieu de considérer que l’employeur est tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail, destinée à rembourser au salarié les frais découlant du télétravail. En effet, l’employeur a une obligation de prise en charge des frais professionnels. Cette obligation est prévue sans restriction par la jurisprudence et celle-ci, de portée générale, doit couvrir les télétravailleurs.

Toutefois, au regard de la difficulté à identifier et circonscrire les dépenses incombant à l’activité professionnelle de celles relevant de la vie personnelle, l’employeur a intérêt à privilégier une somme forfaitaire qui sera de nature à simplifier sa gestion. Si l’allocation versée par l’employeur est forfaitaire, elle sera réputée alors utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de 10 € par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine. Cette allocation forfaitaire exonérée passe à 20 € par mois pour un salarié effectuant deux jours de télétravail par semaine, 30 € par mois pour 3 jours par semaine… (consulter le site de l’Urssaf). Lorsque le montant versé par l’employeur dépasse ces limites, l’exonération de charges sociales pourra être admise à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié. »

On constate que le document opère une confusion entre l’indemnité d’occupation du domicile et la prise en charge des frais professionnels, qui sont deux éléments distincts.

En effet, l’indemnité d’occupation du domicile est due à défaut de local professionnel mis à disposition du salarié : elle indemnise le préjudice que cause l’immixtion dans la vie privée du salariée, constituée par l’ocupation de son domicile à des fins professionnelles. Ainsi, elle n’a pas la nature d’un salaire et, hors mention expresse, n’est pas incluse dans l’allocation pour frais professionnels (Cass. soc., 21 septembre 2016, n° 15-11.144 ; Cass. soc., 27 mars 2019, n° 17-21.014).

S’agissant des coûts liés au télétravail, rappelons que l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 a supprimé l’obligation de l’employeur quant à leur prise en charge (ancien article L.1222-10 du Code du travail). Certes, la question du maintien de cette prise en charge se pose eu égard au principe jurisprudentiel selon lequel « les frais professionnels engagés par le salarié doivent être supportés par l’employeur ». 

Il est toutefois intéressant de relever que le même Ministère du Travail précise, dans son « questions-réponses : télétravail mode d’emploi » actualisé au 4 mars 2020 : 

« Je n’ai pas internet chez moi et je souhaite télétravailler. Puis-je demander à mon employeur de prendre en charge l’ordinateur et les frais de connexion ?

Oui, mais l’employeur n’est pas obligé par la loi d’accepter. »

Une certitude : ces constats appellent à la prudence face à ces communications ministérielles sur des sujets qui, bien que conjoncturels, restent juridiques.

Amélie Nadin

Avocat

Amélie est titulaire du Master I  droit privé et carrières judiciaires de l’Université de Versailles Saint-Quentin et du Master II  droit des affaires et du commerce électronique de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Elle s’est spécialisée en droit social lors de sa formation à la Haute Ecole des Avocats Conseils (HEDAC), durant laquelle elle s’est formée au sein d’un grand groupe français et d’un cabinet d’affaires. Après avoir prêté serment en 2019, elle exerce durant 5 ans au sein de deux grands cabinets parisiens spécialisés en droit social. Elle y développe sa pratique du contentieux social individuel et collectif, avant de nous rejoindre en 2024.

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