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Télétravail : comment encadrer la pratique

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Article publié dans le magazine Direction[s] n° 189 du mois de septembre 2020.
Disponible en téléchargement PDF à la fin de l’article et consultable sur le site internet de Direction[s].

Plébiscité par certains, suscitant des réticences pour d’autres, le télétravail a connu un succès massif ces derniers mois, notamment pendant la période de confinement. Retour sur ses conditions de mise en place, son indemnisation ou encore les risques d’accident du travail.

Ouvert aux salariés volontaires, le télétravail est subordonné à la conclusion d’un accord collectif ou, à défaut, à l’élaboration d’une charte par l’employeur après avis du comité social et économique (CSE). En l’absence d’accord ou de charte, un salarié et l’employeur pourront convenir de recourir à ce dispositif en formalisant leur accord par tout moyen (lire l’encadré).

En cas de circonstances exceptionnelles

L’épidémie de Covid-19 et les grèves importantes de décembre dernier ont conduit à une autre forme de mise en œuvre prévue par l’ordonnance du 22 septembre 2017. Lors de circonstances exceptionnelles, le télétravail peut être considéré comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’organisation et garantir la protection des salariés. Autrement dit, il s’impose et ce, même en l’absence de tout acte juridique de mise en place.

Une telle « activation » de ce dispositif à la guise de l’employeur, sans qu’il existe le moindre accord ou charte dans l’enceinte de l’entreprise, n’a pas manqué de laisser libre court à quelques interprétations contradictoires, voire à des conflits sur les conditions d’indemnisation du salarié entre représentants du personnel et employeurs.

Dans sa rédaction issue de la loi du 22 mars 2012, dite « Wars-mann », le Code du travail (article L1222-10) prévoyait : « L’employeur est tenu à l’égard du salarié en télétravail de prendre en charge tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que de la maintenance de ceux-ci. » L’ordonnance du 22 septembre 2017 a modifié la rédaction et supprimé toute référence à ce point précis.

Une prise en charge des coûts ?

Seul demeure l’accord national interprofessionnel (ANI) du 19 juillet 2005 [1] qui oblige l’employeur à assurer tous les coûts directement engendrés par cette organisation. Si l’application de cet accord dans le champ sanitaire, social et médico-social était écartée pendant de nombreuses années en l’absence de procédure d’élargissement, il se pourrait bien que la situation ait changé récemment du fait de l’adhésion des principales organisations patronales du secteur à la Confédération des PME (CPME). Avec pour conséquence principale : sauf à conclure un accord collectif y dérogeant spécifiquement, l’employeur est donc tenu par cette prise en charge des coûts. L’actualité du secteur est donc à surveiller de près sur ce point dans l’attente de plus amples précisions sur les termes de cette adhésion…

En tout état de cause, et sous réserve d’une évolution prochaine de la jurisprudence, il n’empêche que cette suppression législative ne devrait pas contrevenir au principe jurisprudentiel selon lequel les frais professionnels engagés par le salarié dans l’intérêt de l’entreprise doivent être supportés par l’employeur [2].

Récemment, le ministère du Travail a, quant à lui, considéré que « l’employeur n’est pas tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail destinée à lui rembourser les frais découlant du télétravail, sauf si l’entreprise est dotée d’un accord ou d’une charte qui la prévoit. Les droits habituels en matière de restauration sont maintenus (tickets restaurant, primes de repas, etc.) ».

Critiquable à divers égards, il est utile de souligner que la position du ministère n’est nullement opposable aux juridictions qui pourront adopter une lecture plus large et surtout plus appropriée aux textes existants. Par exemple, on peut citer le fait qu’en cette période de crise sanitaire et s’agissant d’une mesure d’aménagement visant à protéger la santé et la sécurité, le Code du travail prévoit au contraire que les dispositions prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs [3].

Par conséquent, il est fortement recommandé de défi nir largement les conditions de mise en œuvre du télétravail par voie d’accord et, pour ceux qui sont d’ores et déjà couverts par un tel accord, d’enga-ger un processus de révision pour tirer, dès à présent, les enseigne-ments de cette période de crise.

Il est aussi important de souligner que cette prise en charge des coûts ne doit pas être confondue avec l’indemnité d’occupation du domicile du salarié à des fi ns professionnelles [4]. Un salarié ne sera éligible à cette indemnité que dans l’hypothèse où un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition. Autrement dit, le recours ponctuel (même pour plusieurs semaines à office de cinq jours par semaine) à cette organisation ne semble pas concerné.

Des risques professionnels spécifiques

De telles interrogations sont récurrentes et démultipliées pendant la pandémie ; tout comme l’est la prise en compte des risques professionnels propres au télétravail. En effet, le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exerce sa profession dans les locaux de l’entreprise (obligation de sécurité de l’employeur, législation professionnelle des accidents du travail, etc.). Si les principes de droit commun doivent s’appliquer avec la même vigueur, la nature particulière du lieu de travail rendra délicat le respect de ces obligations.

À noter. Certains accords d’entreprise prévoient une visite du domicile par des membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) préalablement au passage en télétravail ou une attestation « décharge de responsabilité » signée par le salarié.

L’employeur n’a en effet aucune maîtrise sur le domicile du salarié. ce qui va rendre plus complexe pour lui la mise en place, au sens large, d’une démarche de prévention des risques professionnels. Rappelons d’ailleurs que les juges ont encore une fois eu l’occasion de rappeler en cette période de Covid-19 l’importance de procéder à une évaluation pertinence des risques, au rang desquels il figure les risques psychosociaux liés au télétravail.

À cela s’ajoute évidemment celui pour le salarié d’être victime d’un accident du travail et l’employeur de considérer que l’origine professionnelle n’est pas établie. Il n’aura pas fallu attendre le recours massif au télétravail pour obtenir des précisions. L’acception large de la notion d’accident du travail trouve tout son sens dans ce cas : le lieu de travail étant le domicile…

Enfin, si le protocole de déconfinement s’assouplit et que ce type d’organisation n’est désormais plus la norme, il n’en demeure pas moins qu’il reste, en période exceptionnelle, une solution à privilégier pour un retour progressif à une activité présentielle, y compris alternée.

Une organisation à formaliser

Un courriel pourrait avoir l’avantage de la simplicité quand l’accord ou la charte doivent a minima prévoir :
• les conditions de passage en télétravail,
• les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre de cette organisation, de contrôle du temps de travail, la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut contacter le professionnel,
• les modalités d’accès des travailleurs handicapés.

Déterminante pour la réussite du télétravail, la rédaction de ces clauses permet aussi de sécuriser et d’objectiver un refus de l’employeur d’une telle demande. La pratique recommande d’y ajouter, autant que faire se peut, des précisions sur la mise à disposition des moyens de ce dispositif et, à des fins de respect du règlement général sur la protection des données (RGPD), l’encadrement de son utilisation. Ou encore, sujet récurrent pendant l’épidémie de Covid-19, la question de la prise en charge des coûts.


François Legras,
Avocat, Picard avocats

Références :
[1] Dont les partenaires sociaux affi rment aujourd’hui engager un processus de révision pour tenir compte des dernières évolutions législatives et conjoncturelles.
[2] Cass. soc., 14 janvier 2015, n° 13-16.229 ; arrêté du 20 décembre 2002, article 1
[3] Code du travail, article L4122-2
[4] Cass. soc., 11 juillet 2012, n° 10-28.847

Amélie Nadin

Avocat

Amélie est titulaire du Master I  droit privé et carrières judiciaires de l’Université de Versailles Saint-Quentin et du Master II  droit des affaires et du commerce électronique de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Elle s’est spécialisée en droit social lors de sa formation à la Haute Ecole des Avocats Conseils (HEDAC), durant laquelle elle s’est formée au sein d’un grand groupe français et d’un cabinet d’affaires. Après avoir prêté serment en 2019, elle exerce durant 5 ans au sein de deux grands cabinets parisiens spécialisés en droit social. Elle y développe sa pratique du contentieux social individuel et collectif, avant de nous rejoindre en 2024.

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