Article publié dans le magazine Direction[s] n° 153 de mai 2017
Utilisé quotidiennement par les structures du secteur social et médico-social, le contrat de travail à durée déterminée (CDD) est une source inépuisable de contentieux nécessitant une mise à jour régulière des connaissances en la matière. Le point sur les principales situations à risque et leurs conséquences, notamment pour les employeurs.
L’unicité du motif de recours au contrat de travail à durée déterminée (CDD) est la règle de base et ne souffre d’aucune exception. La mention de deux motifs de recours est donc à proscrire (par exemple, remplacement de Madame Y, aide-soignante, en arrêt maladie du 1er mai au 30 mai 2017 et remplacement de Monsieur Z, aide-soignant, en congés payés du 1er juin au 30 juin 2017). Il en va de même pour un CDD mentionnant deux motifs de recours, à temps partiel, sur une même période temporelle (par exemple, remplacement partiel de Madame T, aide-soignante, en arrêt maladie du 1er mai au 30 mai 2017 et remplacement partiel de Monsieur M, aide-soignant, en congés payés du 1er mai au 30 mai 2017).
Pour contourner cette règle et faire face aux contraintes de recrutement, la structure s’aventure souvent vers la conclusion de plusieurs CDD distincts à temps partiel sur une même période temporelle avec le même salarié. Cette pratique, largement répandue dans le secteur, n’est pourtant pas sans risque, au premier rang duquel se trouve la possible requalification de ce séquençage artificiel de la relation en un seul contrat de travail.
Succession de CDD et séquençage de l’arrêt maladie
La législation a fixé un garde-fou à destination de l’employeur pour éviter que le recours aux CDD ne devienne structurel : le délai de carence. Ainsi, un nouveau CDD sur le même poste (avec le même salarié ou un autre) ne peut être conclu qu’après un délai de carence égal :
- au tiers de la durée du CDD expiré, renouvellement inclus, si celui-ci est de 14 jours ou plus ;
- ou à la moitié de la durée du contrat expiré, renouvellement inclus, si elle est inférieure à 14 jours.
Le délai de carence n’est pas applicable lorsque le CDD est signé pour assurer le remplacement d’un salarié temporairement absent ou dont le contrat de travail est suspendu, en cas de nouvelle absence du salarié remplacé. Cette exception est d’interprétation stricte, il n’est pas possible de séquencer un même arrêt de travail en plusieurs contrats tout en profitant de la souplesse fixée par l’article L1244-4 du Code du travail (hors hypothèse de renouvellement).
Rappelons également que le motif de recours lié au remplacement d’un salarié absent concerne non seulement une absence justifiée (congés payés, arrêt maladie, formation, etc.) mais aussi une éventuelle absence injustifiée ou encore liée à une mise à pied disciplinaire.
Requalification et période interstitielle
La principale sanction encourue en cas de gestion défaillante du CDD consiste dans la requalification de la relation contractuelle à durée indéterminée. Or, il n’est pas rare que le salarié formule une demande de rappel de salaire au titre des périodes dites interstitielles ou encore « inter contrats ». D’après la Cour de cassation, « le salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée non successifs et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée (CDI), ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s’il s’est tenu à la disposition de l’employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail » [1].
Par ailleurs, toujours selon la Cour, la perception d’indemnités de chômage n’exclut pas à elle seule que le salarié ne se tienne pas à la disposition de l’employeur [2]. En cas de requalifi-cation en CDI, l’employeur condamné à payer un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles ne peut pas déduire des sommes dues le montant des indemnités perçues de Pôle Emploi par le salarié [3].
La saisine en référé : nouvelle stratégie des salariés en CDD ?
La Cour de cassation a admis très récemment [4] que lorsqu’un salarié a introduit une demande de requalification, le juge des référés peut ordonner la continuité du contrat au-delà de son terme initial, en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond. Autrement dit, par cette décision, la Cour de cassation donne un effet utile à la requalification du CDD en CDI. En effet, si le salarié a quitté la structure, la requalification en CDI n’aura aucun effet sur l’effectivité de la rupture du contrat de travail, sans aucune possibilité de réintégration. La combinaison « procédure au fond et référé » pourrait connaître un développement important dans les prochains mois avec une vraie question : quel statut pour le salarié ayant obtenu la poursuite de la relation contractuelle au-delà du terme et dans l’attente de la décision au fond ?
Formalisme du CDD et promesse d’embauche
La Cour de cassation juge que le formalisme du contrat à durée déterminée ne s’applique pas à la promesse d’embauche [5]. Autrement dit, cette promesse n’a pas à comporter les mentions obligatoires, telles que la date du terme ou la durée minimale, le nom et la qualification de la personne éventuellement remplacée. Toutefois, il est évident que le CDD « intégral » devra toujours être remis au salarié dans le délai deux jours ouvrables suivant l’embauche.
Reste enfin la dernière règle, quel que soit son motif, le CDD ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Dans un secteur où la stabilité des équipes dans l’accueil et l’accompagnement des personnes est un facteur déterminant de la réussite des projets d’établissement et stratégique, l’absence de renouvellement du personnel en CDD constitue le véritable sujet de fond.
Gare aux sanctions pénales
Les manquements aux dispositions légales relatives au contrat de travail à durée déterminée (CDD) sont tous sanctionnés par le Code du travail par une amende de 3 750 euros qui, en cas de récidive, sera portée à 7 500 euros ainsi qu’une peine d’emprisonnement de six mois. Rares sont les salariés qui engagent une procédure pénale à l’encontre de leur employeur en plus de celle initiée devant le conseil de prud’hommes. Il en va tout différemment des services de l’inspection du travail qui n’hésitent pas à instruire ce type de dossier et dresser un procès-verbal à destination du procureur de la République. Rappelons enfin qu’une organisation syndicale serait recevable à intervenir volontairement à l’instance introduite par un salarié afin d’obtenir des dommages et intérêts au nom de l’atteinte à l’intérêt collectif de la profession en cas de violation des dispositions légales relatives au CDD.
Stéphane Picard,
Picard avocats
[1] Cass. soc. n° 09-42.344 du 22 septembre 2010 ; Cass. soc. n° 09-40.160 du 30 novembre 2010
[2] Cass. soc. n° 11-22.646 du 25 juin 2013
[3] Cass. soc. n° 15-11.396 du 16 mars 2016
[4] Cass. soc. n° 15-18.560 du 8 mars 2017
[5] Cass. soc. n° 15-11.138 du 6 juillet 2016