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Le sort des instances représentatives du personnel en cas de fusion

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Article publié dans le magazine Direction[s] n° 145 de septembre 2016

Qu’ils soient choisis ou subis, les rapprochements de structures associatives sont une tendance forte dans le secteur. Si le diagnostic en matière de ressources humaines tend à se généraliser, le devenir des instances représentatives du personnel (IRP) demeure encore souvent méconnu.

Si les conséquences des opérations de rapprochement d’organismes gestionnaires sont prévues par les textes en matière de relations individuelles (transfert automatique des contrats de travail) et collectives (mise en cause des normes conventionnelles et transfert de plein droit des normes dites atypiques), celles relatives à la situation des instances représentatives du personnel (IRP), et plus particulièrement à leur futur périmètre, suscitent de nombreuses interrogations. Ce faute de dispositions légales et réglementaires assez précises.

En effet, les rapprochements peuvent être de nature à bouleverser la représentation existante, ainsi que le rapport de force entre les organisations syndicales. Une grande vigilance est donc requise pour éviter tout blocage du dia-logue social. D’autant que la modification intervient souvent dans un contexte de tension du fait de l’incertitude des salariés suscitée par le changement d’employeur.

Quelles hypothèses de rapprochement ?

Le Code du travail envisage les rapprochements par le prisme de la conséquence de l’opération : « la modification de la situation juridique de l’employeur » prévue par l’article L1224-1. Ainsi sont visées, de manière non exhaustive, les opérations de succession, vente, fusion, transformation du fonds et mise en société de l’entreprise. Elles s’appliquent donc à la forme la plus courante de rapproche-ment : la fusion-absorption, mais aussi à la fusion-création, à la scission ou au transfert partiel d’activité dès l’instant, pour ces deux cas, que l’action porte sur une entité économique autonome poursuivant un objectif propre et dont l’identité est maintenue.

À noter. L’entité économique autonome se définit comme un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui « pour-suit des intérêts [ou] un objectif propres ». Inversement, l’article L1224-1 trouve rarement application, in concreto, aux opérations de mutualisation comme la création d’un groupement de coopération sociale et médico-sociale (GCSMS), d’un groupement d’intérêt économique (GIE) ou encore au cas de transfert partiel d’activités ne constituant pas un établissement distinct.
En principe, lorsque le change-ment de la situation juridique de l’employeur est constaté, le main-tien de la représentation du personnel est la règle sous réserve de celui de l’autonomie juridique de l’entité transférée ou de son caractère distinct.

La préservation de l’autonomie, un critère essentiel

Le législateur a prévu que le mandat des représentants du personnel « subsiste lorsque l’entre-prise qui fait l’objet de la modification conserve son autonomie juridique ». Cette notion s’applique pour :

  • le comité d’entreprise (Code du travail, art. L2324-26),
  • le comité central d’entreprise (art. L2327-11),
  • les représentants syndicaux au comité d’entreprise,
  • les délégués du personnel (art. L2314-28),
  • les délégués syndicaux,
  • les représentants de la section syndicale.

Cette notion d’autonomie juridique condamnant de fait le maintien des instances, la jurisprudence na élargi les contours de celle-ci en l’interprétant comme « l’autonomie organisationnelle ou concrète de l’entité transférée ». Ce qui veut dire que l’instance subsiste dès lors que l’entité conserve son autonomie en fait. Contrairement à une idée répandue, le principe est bien celui du maintien des instances lors d’un rapprochement ou d’un transfert. En effet, il est rare que l’opération entraîne immédiatement, dans le fonctionnement même des structures, une fusion effective des organisations ou des équipes. Or, l’appréciation du maintien de l’autonomie organisationnelle s’apprécie au jour du rapproche-ment. Par conséquent, lorsque l’entité transférée ou scindée n’est pas substantiellement modifiée dans sa composition, sa localisation, son activité, l’IRP associée perdure.

Inversement, lorsque l’opération implique immédiatement des changements majeurs dans le fonctionnement et l’organisation de l’entité absorbée, les instances sont vouées à disparaître, sous certaines conditions. Tel sera le cas si le personnel transféré est dispersé sur plusieurs sites au sein de l’entreprise d’accueil ou si un changement de direction opérationnelle est mis en place dès le jour de l’opération.

L’ordre administratif considère quant à lui que l’entité qui perd son autonomie juridique sans devenir un établissement distinct de celle qui l’a reprise, perd égale-ment ses mandats. L’ordre judiciaire et l’ordre administratif ne sont donc pas alignés. Or, si les deux concepts sont complémentaires, la notion d’établissement distinct sera plus délicate à caractériser au plan fonctionnel, selon l’instance concernée.

Pour la mise en place du comité d’établissement, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des délégués syndicaux (DS), la reconnaissance de l’établissement distinct implique une stabilité dans le temps, un degré d’autonomie suffisant tant pour la gestion du personnel que pour l’exécution du service, ainsi qu’une implantation géographique distincte.

Pour l’installation des délégués du personnel (DP), la reconnaissance de l’établissement distinct implique une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptibles de générer des réclamations communes et spécifiques et travaillant sous la direction d’un représentant de l’employeur, peu importe que celui-ci ait le pouvoir de se prononcer sur les réclamations.

Les principales situations en pratique

Si l’entité absorbée devient un établissement distinct ou si son autonomie fonctionnelle est conservée, le comité d’entreprise (CE) se transformera en comité d’établissement et désignera parmi ses membres, pour une durée limitée à une année, deux représentants au comité central de l’entreprise d’accueil. Si cette dernière ne disposait pas d’un comité central d’entre-prise, cette instance devra être mise en place.

Si les deux structures n’avaient pas de CE, il n’y a aucune obligation légale d’organiser des élections pour l’installation d’un CE commun, y compris lorsque le seuil de 50 salariés est atteint. Toutefois, une telle procédure est vivement conseillée pour éviter une tension sociale inutile.
Dans l’hypothèse d’une opération de fusion-création, les CE préexistants (tout comme les comités d’établissement et les DP) vont disparaître avec une obligation d’organiser de nouvelles élections.
Enfin, si l’entité transférée conserve son autonomie ou son caractère distinct au sens des délégués du personnel, alors l’instance sera maintenue pendant le temps restant à courir du mandat.

La disparition de l’instance

En l’absence de maintien de l’autonomie ou du caractère distinct, le CE de l’entité absorbée disparaîtra automatiquement, sans autre formalité. Il est alors recommandé d’informer le plus en amont possible du pro-jet les instances sur les conséquences de l’opération, mais aussi d’appréhender le projet de rapprochement sous cet angle (si l’objectif consiste à limiter ou contenir le nombre d’IRP).

À l’inverse, la suppression d’un comité d’établissement imposera la conclusion d’un accord unanime avec les organisations syndicales représentatives ou, à défaut, une décision de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte). Il n’y a pas de disparition unilatérale du comité d’établissement.Dans l’hypothèse d’un transfert partiel, si l’effectif de l’entité d’origine passe en dessous du seuil de 50 salariés, la suppression du CE ne sera pas automatique. Il faudra, ici encore, un accord unanime avec les organisations syndicales ou, à défaut, saisir la Direccte compétente.
Enfin, la perte de la qualité d’établissement distinct, reconnue par la Direccte, emportera la cessation immédiate des DP. Toute-fois, un accord collectif pourra leur permettre d’achever leur mandat.

À noter. Rares sont les décisions rendues sur le sort du CHSCT en cas de modification de la situation juridique de l’employeur. Toute-fois, le tribunal de grande instance de Paris [1] a fait application des règles concernant le maintien du comité d’entreprise en considérant que les mandats des membres du CHSCT devaient perdurer dès lors que l’établissement conservait son autonomie organisationnelle. Pour la délégation unique du personnel (DUP), il sera fait une application combinée des règles concernant le CE et des DP.

Au final, en cas de rapproche-ment, il est impératif d’anticiper la future architecture de la représentation du personnel et, selon le climat social, de la partager en amont avec les IRP concernées. Des pratiques innovantes pourront être envisagées par le biais de la création d’instances ad hoc (commission/groupe de travail) visant à instaurer un dialogue entre elles, et ce en amont de l’opération de fusion. De même, la mise en œuvre de dispositions « supra légales » et favorables au dialogue social (instance élargie/organisation des élections) pourra être envisagée avec les instances. Une information préalable de la Direccte (rendez-vous de présentation du projet et des conséquences sur le sort des IRP) constitue également une bonne pratique. Enfin, il est plus que jamais nécessaire de réaliser un audit précis de la structure et de son fonctionnement avant de mettre en place toute opération.

Point de vue : Nathalie Le Maire, directrice générale adjointe de l’association Arfog-Lafayette à Paris.

Déjà issue d’une fusion, l’association Arfog-Lafayette
(environ 240 salariés, 1 CE, 1 CHSCT, 2 DS) est en train de se rapprocher de l’association Henri Rollet (environ 120 salariés, 1 CHSCT, 1 DUP, 1 représentant syndical). Particularité : la petite absorbe la grande, afin d’appliquer la convention collective de 1966. Les IRP ont déjà rendu un avis favorable, mais étant des associations reconnues d’utilité publique, nous attendons l’aval du ministère de l’Intérieur. Concernant l’avenir des mandats, il était clair dès la consultation sur la fusion que ceux des IRP d’Arfog-Lafayette tombaient avec la fusion. En revanche, les employeurs ont présenté à l’ensemble des élus les options possibles afin de n’exclure personne, notamment de la négociation des accords d’adaptation. Il s’agit d’organiser soit des élections complémentaires qui permettront de pourvoir sept sièges supplémentaires jusqu’à la fin du mandat des IRP d’Henri Rollet, mi 2019 (et pour cela il faudra un accord d’entreprise). Soit la démission de ces derniers et la convocation dans la foulée de nouvelles élections. Nous en rediscuterons à la rentrée. »

Point de vue : Sophie Le Jeune, directrice des ressources humaines d’Aurore, à Paris.

« En quatre ans, Aurore (1 600 salariés) a mené environ 13 fusions. Particularité de la dernière, en cours ? L’absorption d’une association de 160 salariés, basée à Troyes. Très tôt, nous avons fonctionné en comité de pilotage associant les directions et les représentants des salariés des deux côtés. Tous les élus sont impliqués dans la négociation des accords d’adaptation et nous prévoyons systématiquement une commission de suivi de la fusion. Par ailleurs, nos délégués syndicaux ont fait une place aux représentants de l’association reprise, et nous avons entériné sept espaces de négociation, dont un consacré à leurs représentants (4 titulaires et 4 suppléants). Du fait de leur localisation et compte tenu de la spécificité de leur activité (chantiers d’insertion), nous leur avons proposé un CHSCT distinct. Enfin, nous avons signé un protocole électoral afin de coordonner nos calendriers. Le plus important in fine ? Préserver l’équilibre de l’organisation des IRP existantes afin d’éviter les tensions et préserver la capacité de l’organisation à signer des accords. »

Stéphane Picard,
Avocat associé, Picard avocats

[1] Décision n° 06-05769 du 4 juil. 2006

Amélie Nadin

Avocat

Amélie est titulaire du Master I  droit privé et carrières judiciaires de l’Université de Versailles Saint-Quentin et du Master II  droit des affaires et du commerce électronique de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Elle s’est spécialisée en droit social lors de sa formation à la Haute Ecole des Avocats Conseils (HEDAC), durant laquelle elle s’est formée au sein d’un grand groupe français et d’un cabinet d’affaires. Après avoir prêté serment en 2019, elle exerce durant 5 ans au sein de deux grands cabinets parisiens spécialisés en droit social. Elle y développe sa pratique du contentieux social individuel et collectif, avant de nous rejoindre en 2024.

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