Article publié dans le magazine Direction [s] n° 166 de juillet-août 2018
Les élus du personnel et les salariés investis de mandats syndicaux bénéficient d’un crédit d’heures de délégation. Outre les dispositions du Code du travail réglementant leur régime, le juge précise régulièrement les modalités de leur bonne utilisation.
Pour l’exercice de leurs fonctions représentatives, les salariés élus du personnel ou investis de mandats syndicaux ont droit à un crédit d’heures de délégation dont le nombre varie en fonction de la nature du mandat et de l’effectif de l’entreprise. Si le Code du travail appréhende dans les grandes lignes leur régime (modalités de calcul, temps imputé sur le crédit d’heures…), la jurisprudence répond à un certain nombre de questions pratiques soulevées par leur utilisation.
Que recouvre la liberté d’utilisation du crédit d’heures ?
Les heures de délégation peuvent être employées librement, à l’intérieur comme à l’extérieur de la structure, à condition qu’elles le soient pour une activité conforme à l’objet du mandat et sans que cela ne gêne de façon importante l’accomplissement du travail des autres salariés. En outre, le représentant du personnel est libre d’utiliser son crédit d’heures en une ou plusieurs fois, par fraction d’heures ou de minutes, en fonction des besoins découlant du mandat.
En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’activité, en particulier le remplacement du personnel « en délégation », l’employeur peut exiger d’être informé avant que celui-ci ne s’absente de son poste pour utiliser son crédit d’heures.
Attention. Il ne peut s’agir que d’une simple information et non d’une demande d’autorisation d’absence. Par ailleurs, il n’existe pas de délai légal de prévenance. En théorie, une information de dernière minute n’est pas abusive, sauf si son caractère soudain est injustifié et de nature à nuire à l’organisation du travail [1].
Heures de délégation et temps de travail. De plus, il n’y a pas obligatoirement de corrélation entre l’utilisation des heures de délégation et les horaires de travail : dès lors que les nécessités du mandat le justifient, le crédit d’heures peut être utilisé en dehors de l’horaire normal de travail. C’est le cas, par exemple, pour un élu travaillant de nuit et souhaitant rencontrer des salariés en journée. Les heures de délégation utilisées hors du temps de travail doivent toutefois respecter la réglementation sur sa durée maximale ainsi que le repos quotidien et hebdomadaire.
Attention. Il n’est pas possible d’imputer, par avance, le contingent d’heures de délégation d’un représentant du personnel lors de l’établissement des plannings de travail [2].
La suspension du contrat de travail empêche-t-elle l’utilisation des heures ?
De manière générale, la jurisprudence considère que la sus-pension du contrat de travail n’emporte pas celle du mandat. Le représentant du personnel peut ainsi utiliser son crédit d’heures durant ses congés payés, un arrêt maladie, une absence, une grève, en cas de dispense de préavis et même à l’occasion d’une mise à pied disciplinaire ou conservatoire.
Pendant ces périodes, le salarié devra toujours être convoqué par l’employeur à toutes les réunions périodiques de l’institution représentative à laquelle il appartient. Néanmoins, ce principe de non-suspension du mandat n’est pas sans soulever des difficultés.
Paiement des heures de délégation et arrêt maladie. Pour qu’un salarié puisse réclamer le paie-ment d’heures de délégation prises durant un arrêt maladie, la Cour de cassation exige qu’il ait obtenu, de son médecin traitant, l’autorisation préalable d’exercer une telle activité [3] lors de la délivrance de l’arrêt de travail. Se pose alors la problématique, non résolue à ce jour par la jurisprudence, de l’articulation et du potentiel cumul entre l’obligation pour l’employeur de payer des heures de délégation, dans la limite de l’autorisation du médecin traitant, et l’éventuel maintien de salaire.
Paiement des heures de délégation et congés. En matière de congés, la Cour de cassation considère que le salarié ne peut pas bénéficier à la fois du paie-ment des heures de délégation et de l’indemnité de congés payés [4]. En effet, admettre un tel cumul reviendrait à octroyer à l’élu un avantage par rapport aux autres salariés, lesquels ne peuvent pas travailler et être rémunérés durant leurs congés. Faut-il considérer qu’en tel cas, les heures de délégation ne sont tout simple- ment pas rémunérées ? Rien n’est moins sûr.
En effet, si le représentant du personnel ne doit subir aucune perte de rémunération du fait de l’exercice de son mandat, il doit également bénéficier du même droit à congé que les autres salariés, d’autant que la prise des congés payés est une obligation d’ordre public. Dès lors que les heures de délégation sont considérées par la loi comme du temps de travail [5], elles ne sauraient amputer le droit à congé du salarié.
En pratique et dans l’attente d’une clarification de la jurisprudence, il conviendrait d’inter-rompre le congé, et donc le verse-ment de l’indemnité afférente, le temps de l’utilisation des heures de délégation, lesquelles seraient ainsi payées non pas au titre des congés payés, mais comme du temps de travail effectif. Le temps de congé amputé par le crédit d’heures utilisé devrait alors être reporté ultérieurement, afin que le salarié bénéficie effective-ment de son repos.
Toutefois, si les heures de délégation peuvent être prises par fraction d’heures, tel n’est pas le cas des congés payés sont le décompte doit en principe s’effectuer en jours ouvrables [6]. Pour contourner cette difficulté, rien ne semble s’opposer à ce que l’employeur mette en œuvre un « compteur de récupération », en demi-journées ou en journées, afin que le représentant du personnel puisse prendre son congé quand suffisamment d’heures seront accumulées. Ce n’est alors qu’en cas de rupture du contrat de travail, si le salarié n’a pas pu bénéficier du report de son congé non pris, que le solde de ces heures lui sera rémunéré en espèce. C’est en tout cas le mécanisme retenu par la Cour de cassation s’agissant du repos compensateur non pris du fait de l’exercice du mandat [7].
Quid du crédit d’heures pour les salariés à temps partiel ?
es salariés à temps partiel bénéficient du même crédit d’heures que ceux à temps complet. Cependant, leur temps de travail mensuel ne peut pas être réduit de plus d’un tiers par l’utilisation de leurs heures de délégation. Le solde éventuel de ces heures peut alors être utilisé en dehors des heures de travail [8], payé en heures complémentaires, mais sans que soient appliquées les dispositions limitant la durée du travail à temps partiel [9].
Peut-on contester l’utilisation des heures de délégation ?
Le représentant du personnel bénéficie d’une présomption de bonne utilisation de son crédit d’heures, c’est-à-dire en conformité avec son mandat. Outre l’impossibilité pour l’employeur d’effectuer un contrôle préalable, celui-ci a donc l’obligation de les payer intégralement avant de sou-lever la moindre contestation [10].
Par ailleurs, avant toute action judiciaire en remboursement des heures litigieuses, la jurisprudence exige que l’employeur ait d’abord demandé au salarié des précisions sur les activités exercées pendant lesdites heures [11].
Si le salarié refuse de fournir cette explication, deux procédures judiciaires doivent se succéder devant le conseil de prud’hommes. Une première, généralement en référé, pour obtenir lesdites précisions et, au besoin, une seconde pour agir en remboursement. En pratique, il convient d’être prudent avant d’engager une telle procédure. En effet, les conseillers prud’homaux se révèlent frileux à prononcer le remboursement des heures de délégation. De plus, faute pour l’employeur de prouver une utilisation non conforme, le représentant du personnel pour-rait être fondé à solliciter des dom-mages et intérêts.
En revanche, les heures de dépassement prises au titre de cir-constances exceptionnelles, tout comme celles prises en cas d’arrêt maladie sans autorisation préalable du médecin traitant, ne bénéficient pas de la présomption de bonne utilisation. L’employeur peut ainsi vérifier l’existence de telles circonstances avant de les rémunérer. S’il refuse leur paiement, ce sera inversement au salarié d’engager une procédure judiciaire et de justifier de leur nécessité pour en obtenir rémunération.
Peut-on sanctionner une mauvaise utilisation ?
En principe, le salarié protégé bénéficie d’une immunité dans l’exercice de son mandat, le pouvoir disciplinaire de l’employeur étant limité aux seuls faits constituant un manquement aux obligations professionnelles. Il est toutefois admis que l’employeur puisse engager une procédure disciplinaire en cas d’exercice abusif du mandat, ce qui est apprécié au cas par cas. Par exemple s’il y a utilisation frauduleuse de bons de délégation (lire l’encadré) falsifiés pour justifier de retards [12]. À cet égard, une condamnation au remboursement des heures de délégation pour utilisation non conforme ne saurait suffire à fonder, à elle seule, une sanction pour exercice abusif du mandat afin de sanctionner le salarié. Enfin, les règles relatives à l’utilisation du crédit d’heures pour les membres du comité social et économique (CSE) étant pour la plupart les mêmes que pour les « anciennes instances » [13], la jurisprudence rendue à l’égard de ces dernières devrait continuer à s’appliquer.
Un outil de gestion : le bon de délégation
Le bon de délégation est un formulaire délivré à un représentant du personnel qui souhaite s’absenter de son poste de travail pour exercer son mandat. Permettant l’information préalable de l’employeur et la comptabilisation des heures de délégation prises au cours du mois, ce dispositif ne saurait constituer une demande d’autorisation d’absence. En pratique, il est efficace pour assurer la gestion administrative des heures de délégation, et le sera d’autant plus dès lors que les membres du CSE ont la possibilité de cumuler leurs heures de délégation sur douze mois et de se les répartir entre eux. En outre, la production d’un bon de délégation se révèle utile en cas de contestation judiciaire de l’utilisation conforme. Toutefois, il ne peut pas être mis en place unilatéralement par l’employeur, la jurisprudence exigeant une concertation préalable avec l’institution représentative concernée (accord collectif sur l’exercice du droit syndical, délibération du CE ou du CHSCT…) [Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-13.681].
Cécile Noël
Juriste, Picard avocats
Références :
[1] Cass. soc., 12 fév. 1985, n° 82-41.647
[2] Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.823
[3] Cass. ch. mixte, 21 mars 2014, n° 12-20.002
[4] Cass. soc., 19 oct. 1994, n° 91-41.097
[5] Code du travail, article L2143-17
[6] Code du travail, article L3141-3
[7] Cass. soc., 27 nov. 2013, n° 12-24.465
[8] Code du travail, article L3123-14
[9] Cass. soc., 21 sept. 2011, n° 10-13.681
[10] Cass. soc. 19 mai 2016, n° 14-26.967
[11] Cass. soc., 15 déc. 1993, n° 91-44.481
[12] Conseil d’État, 1/4 SSR,
17 avril 1992, n° 89834
[13] Lire Direction[s] n° 162 p. 30