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Prime ESMS : des précisions attendues !

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Après des annonces – parfois discordantes – et plusieurs semaines de discussion entre le gouvernement et les organisations patronales du secteur sanitaire, social et médico-social, les contours de la « prime covid » se dévoilent enfin.

En particulier, a été diffusée une instruction n° DGCS/SD5C/DSS/SD1A/CNSA/DESMS/2020/87 du 5 juin 2020, qui doit être prochainement publiée, dont l’annexe 10 traite de la « mise en place d’une prime exceptionnelle pour les personnels des établissements et services médico-sociaux privés et publics dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 ».

L’annexe précise que le principe du versement, de la défiscalisation et de la désocialisation de la prime sera inscrit dans la prochaine loi de finances rectificative. Or, le projet de loi a été déposé ce mercredi 10 juin à l’Assemblée nationale et ne fait, à ce jour, aucune référence à la prime. 

À ce jour, le seul document permettant aux organismes gestionnaires d’étudier les modalités de versement de la prime est donc l’annexe 10 précitée… Qui appelle plusieurs interrogations.

  1. Le champ d’application de la prime

Concernant les établissements visés par la prime, sont concernés :

  • Les établissements et services accueillant des personnes âgées éligibles à la prime, visés au 6° L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) ;
  • Les établissements et services accueillant des adultes et enfants en situation de handicap visés aux 2°,3°, 5° et 7°, 11 ° et 12° du L. 312-1 du CASF ;
  • Les établissements médico-sociaux financés sur l’ONDAM spécifique visés au 9° de l’article L. 312-1 du CASF (d’accueil médicalisés (LAM) ; lits halte soins santé (LHSS) ; appartement de coordination thérapeutique (ACT) ; centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues (CAARUD).

Concernant les personnes bénéficiaires, sont visés :

  • L’ensemble des professionnels (personnels médicaux et non médicaux) ;
  • Titulaires, contractuels, apprentis ;
  • Toute filière professionnelle confondue ;
  • Personnels de renfort (notamment mise à disposition) à l’exclusion des personnels intérimaires.

En premier lieu, il est à noter qu’à la stricte lecture de ces indications, les associations et fondations dotées de structures diverses ne devraient en principe verser cette prime qu’à leurs seuls établissements sociaux et médico-sociaux. Par conséquent, seraient par exemple exclus les personnels du siège malgré leur poursuite d’activité durant le contexte épidémique. 

Une telle exclusion, susceptible de générer une différence de traitement au sein d’une même association, pourrait être peu acceptée socialement. Existerait-il alors d’autres biais pour récompenser, de la même manière, les personnels des établissements non visés par l’annexe 10 ?

Deux « pistes » pourraient être creusées :

  • d’une part, l’annexe 10 se réfère aux « Personnels de renfort (notamment mise à disposition) » : il pourrait donc être envisagé de verser la prime aux salariés des établissements « non ESSMS » étant intervenu en soutien aux ESSMS durant la crise sanitaire ;
  • d’autre part, la possibilité de verser un complément de prime exceptionnelle de pouvoir d’achat (PEPA) aux salariés des établissements « exclus » de la prime, sur le fondement du critère des conditions de travail liées à l’épidémie de Covid-19. À noter que contrairement aux premières annonces, la prime « ESSMS » est en effet cumulable avec la PEPA.

L’une comme l’autre de ces hypothèses impliquent une analyse casuistique de la situation de l’association gestionnaire, l’enjeu étant de sécuriser juridiquement tant le risque Urssaf que le risque de contentieux prud’homal en rappel de prime.

  • La prise en compte des absences liées à la maladie, aux accidents de travail et aux maladies professionnelles

L’annexe 10 à l’instruction du 5 juin 2020 indique :

« Public : présence effective du personnel sur la période de référence comprise entre du 1er mars au 30 avril (télétravail inclus).

Règles d’abattement : Le montant de la prime exceptionnelle est réduit de moitié en cas d’absence d’au moins quinze jours calendaires pendant la période de référence.

Les agents absents plus de 30 jours calendaires au cours de cette même période ne sont pas éligibles.

L’absence est constituée pour les motifs hors congé de maladie, accident de travail ou maladie professionnelle (présomption d’imputabilité au virus Covid-19), les congés annuels et les congés au titre de la réduction du temps de travail.

Condition pour les personnels médicaux : exercice sur une durée équivalente au moins cinq demi-journées par semaine en moyenne au cours de la période.

Pour les gestionnaires de droit privé, ces critères de répartition sont indicatifsLes critères de versement aux professionnels concernés doivent pouvoir être déterminés par les structures par accord d’entreprise ou d’établissement ou par décision unilatérale de l’employeur, non soumis à agrément ministériel défini à l’article L. 314-6 du CASF»

La mention « dès lors que » interroge : le texte vient-il « directement » présumer toute absence pour maladie / AT / MP imputable au Covid pour le versement de cette prime ? Subordonne-t-il cette présomption à la parution d’un prochain texte (présomption qui avait été évoquée par le Ministre des Solidarités et de la Santé concernant les soignants) ? Est-il nécessaire que le salarié produise une preuve du lien entre son « congé » et le Covid-19, sachant que l’origine d’un arrêt maladie relève du secret médical ?

Sur ce point, nous avons notamment été informés que l’ARS du Grand-Est considérerait que cette imputabilité pourrait être fondée sur une attestation sur l’honneur du personnel concerné. Cela reviendrait donc à considérer qu’un salarié pourrait s’auto-constituer une preuve de présomption d’imputabilité de son arrêt au Covid-19… Ce qui n’a, juridiquement, aucun sens.

Par ailleurs, rappelons que le confinement a débuté le 17 mars, l’état d’urgence sanitaire le 24 mars et la « période juridiquement protégée » le 12 mars. Dès lors, pourquoi retenir une date de début de période de référence au 1er mars ? Dans le même sens, le texte ne précise pas qu’il vise le congé de maladie / AT / MP qui aurait débuté pendant la période de référence. Qu’en est-il donc pour un salarié placé en arrêt maladie depuis fin février ou depuis 6 mois ?

Des précisions – précises ! – au sein de la loi de finances rectificative seraient donc les bienvenues.

Rappelons en effet que même si l’intention affichée est de favoriser les personnels ayant maintenu leur activité durant le contexte épidémique, la loi s’interprète « d’abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d’un éventuel texte législatif ayant le même objet et, en dernier recours, en utilisant la méthode téléologique consistant à rechercher l’objectif social du texte »[1].

  • Le caractère indicatif des critères de la prime

L’annexe 10 de l’instruction précise que « Les critères de versement aux professionnels concernés doivent pouvoir être déterminés par les structures par accord d’entreprise ou d’établissement ou par décision unilatérale de l’employeur ».

« Doivent pouvoir être » et non « doivent être »… Un organisme gestionnaire peut-il donc verser directement la prime sur le fondement des critères légaux, sans passer par la voie d’un accord collectif ou d’une décision unilatérale ? Est-ce un « acte fondateur » exigé pour le bénéfice de l’exonération sociale et fiscale ?

Par ailleurs, si l’organisme gestionnaire souhaite « prendre la main » sur les critères de versement, peut-il exclure les personnels absents, y compris en cas de congé de maladie, de maladie professionnelle ou d’accident de travail, puisque ces absences figurent dans la liste des critères du secteur public censés être « indicatifs » pour le secteur privé ?

La réponse à cette question a son importance puisque rappelons que « si l’employeur peut tenir compte des absences, même motivées par la grève, pour le paiement d’une prime, c’est à la condition que toutes les absences, hormis celles qui sont légalement assimilées à un temps de travail effectif, entraînent les mêmes conséquences sur son attribution »[2].

Enfin, l’annexe 10 précise que « les employeurs ont toutefois la possibilité de verser cette prime par anticipation, sans attendre la publication des textes. » Or, les modalités de versement de la prime « ESSMS » comporte à ce jour des zones d’ombres venant d’être évoquées et qui, traduites juridiquement, peuvent exposer l’organisme gestionnaire à un risque en cas de contrôle Urssaf ou d’action contentieuse diligentée devant la juridiction prud’homale. Outre la loi de finances rectificative, une foire aux questions est attendue. Le présent « flash info » comportera donc un seul conseil : attendre la publication des textes !


[1] Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18-12.467

[2] Récemment : Cass. soc., 8 janvier 2020, n° 18-17.553

Dimitri Colin

Avocat

Dimitri est titulaire d’un Master I en droit social ainsi que de deux Master II recherche en droit social et droit de la protection sociale de l’entreprise, obtenus à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Après avoir suivi les enseignements de l’École de Formation Professionnelle des Barreaux de la Cour d’appel de Paris, Dimitri a prêté serment le 30 janvier 2020.

Avant d’intégrer le Cabinet en 2021, il a été formé en tant que stagiaire puis en tant que collaborateur au sein d’un cabinet d’avocats français spécialisé en droit du travail et droit de la protection sociale.

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